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moins d’un triomphe : il lui suffisait d’obtenir assez de concessions les unes après les autres, pour que la liberté fût rendue aux catholiques. C’est ce qu’il a obtenu. Il avait en face de lui un gouvernement hérétique, mais non pas impie, combatif, mais non pas sectaire, qui ne recherchait que l’intérêt de l’État et ne faisait la guerre que pour avoir la paix. La paix a été faite. Bientôt, l’attitude de l’Allemagne à l’égard du Saint-Siège et du vieillard auguste qui l’occupait s’est modifiée. Le premier symptôme de ce changement est apparu lorsque le prince de Bismarck a demandé au Pape d’arbitrer le conflit qui s’était élevé entre les gouvernemens de Berlin et de Madrid au sujet des Carolines. Ces dispositions nouvelles se sont développées et accentuées par la suite. Il y a eu quelque différence entre la première visite de l’empereur au Pape, cette visite qui a été interrompue par l’irruption soudaine de son frère, le prince Henri, poussé, dit-on, par le comte Herbert de Bismarck à interrompre une conversation qui lui paraissait avoir suffisamment duré, et la dernière, que Guillaume faisait à Léon XIII, il y a quelques semaines à peine, entouré de la pompe souveraine et de tout ce qui pouvait flatter chez le pontife la fibre humaine dans ce qu’elle avait de plus sensible. Pendant la maladie du Pape, l’empereur a multiplié les marques de sa sympathie et de son respect. Il n’y a aucune raison de douter de la sincérité de ses sentimens pour un vieillard dont il n’a pas eu en somme à se plaindre ; mais il est permis de penser que la manifestation éclatante qu’il en a faite n’est pas exempte d’intentions politiques. Ce n’est pas pour rien que l’empereur s’est mis sur un pied de coquetterie avec le Saint-Siège. Il a trop de perspicacité pour ne pas comprendre qu’il y a là une force immense, et, dans la mesure où il le peut, il cherche à la capter à son profit. Rien de plus judicieux de sa part : nous souhaiterions seulement que son attitude servît à d’autres d’avertissement et de leçon.

C’est de nous-mêmes que nous voulons parler. On dit que la politique de Léon XIII a échoué en France : nous le saurons plus tard ; mais il est certain que cette politique devait rencontrer chez nous de grandes difficultés d’application, et la raison en est simple : c’est en France que, pendant de longs siècles, l’intimité la plus étroite s’est maintenue entre le gouvernement et l’Église. En constatant cette situation historique, il y aurait quelque inintelligence à la juger rétrospectivement avec nos idées actuelles. Il fut un temps où, à de minimes exceptions près, tout le monde en France était catholique. Il n’y avait pas là seulement une opinion religieuse, mais une