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distinctes qu’on a appelées tautomères, et qui se différencient les unes des autres par diverses particularités et, entre autres, par leur pouvoir rotatoire instantané. L’une de ces formes possède le pouvoir rotatoire théorique définitif dès le moment même de sa dissolution ; les autres ne l’atteignent que progressivement ; mais on peut les y amener d’emblée en faisant bouillir les solutions ou en les additionnant d’une petite quantité d’alcali.

On ne peut pas quitter cette question du pouvoir rotatoire des sucres sans rappeler une condition tout à fait remarquable de son existence. Les chimistes ont signalé, en effet, une relation curieuse entre la possession de cette faculté surprenante d’imprimer un mouvement de rotation au plan de polarisation du rayon lumineux et la constitution moléculaire intime des sucres. On sait que les sucres appartiennent à la série grasse ou série linéaire, c’est-à-dire que les chimistes s’en représentent la constitution par une série de groupes moléculaires constituans (fonctions chimiques) attachés bout à bout comme les anneaux d’une chaîne ouverte. En particulier, le glucose est un édifice dont ils donnent une image suffisante en le comparant à une suite de six petites constructions enchaînées. Les quatre qui occupent les places intermédiaires sont parfaitement semblables ; ce sont quatre groupes alcool secondaire (CHOH) : mais le premier, qui est un alcool primaire (CH2OH), et le dernier, qui est une aldéhyde (CHO), sont différens. Il en résulte une dissymétrie dans l’arrangement de l’édifice à ses deux bouts, entre le premier chaînon et le second, et entre le cinquième et le dernier. On exprime le fait en disant qu’il y a, en chacun de ces points, un carbone asymétrique (c’est-à-dire, pour parler le langage chimique qui commence à être familier à beaucoup de lecteurs cultivés, un atome de carbone dont les quatre valences sont saturées par quatre radicaux monovalens différens). Or, une loi générale veut que tout corps qui possède le pouvoir rotatoire ait dans son édifice moléculaire au moins un atome de carbone asymétrique. Les jeux de la lumière, dans son passage à travers la structure subtile de l’édifice moléculaire, se trouvent reliés par cette remarque à une particularité de cette structure. Le sucre de glucose, qui réalise en deux points de sa molécule la condition du pouvoir rotatoire et qui le possède, en effet, offre donc de nombreux exemples de la vérification de cette loi.

On entrevoit, par ces quelques détails, quelle mine de riches