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n’est que l’accessoire avec une Julie Dauvers. L’essentiel, c’est l’assurance de son crédit auprès d’une amie toute-puissante.

Nous touchons au point essentiel, à ce qui fait la nouveauté de cette publication et qui lui donne son importance au point de vue historique. Les éditeurs des Lettres à Julie ont réduit à néant la légende des rapports que Mirabeau aurait eus avec Mme de Lamballe ; cela, en montrant que tout ce qui s’est répandu dans le public touchant ces rapports prétendus n’avait pour point de départ que les assertions contenues dans ces lettres elles-mêmes et n’en était qu’un souvenir. Mais, quand on sait que tout ce que contiennent les Lettres à Julie relativement à Mme de Lamballe n’est qu’invention et supercherie, c’est alors qu’on se prend à admirer comme il le mérite le caractère de celui qui apporte tant de précision dans la fausseté, d’indécence dans l’imagination et d’audace dans la calomnie.

C’est mystérieusement d’abord et à demi-mots que Mirabeau lance les premières insinuations : « J’ai une amie toute-puissante qui veut malgré moi faire quelque chose de moi. » Par la suite, il faudra bien appuyer, fournir des détails ; Mirabeau en fournit à foison et d’ignobles. C’est le rinforzando de son ennemi Beaumarchais. Mais le moyen de douter qu’il soit en intimité avec « Urgande » dont il dit posséder quatre ou cinq cents lettres ! Intimité orageuse, car, en cas de contrariété, c’est sur lui qu’on retombe pour le traiter d’imbécile, d’homme haïssable, d’homme sans foi, sur lequel on ne peut pas compter et qu’on déteste de toute son âme. On reconnaît à ce langage l’emportement de l’amour. Car Urgande poursuit Mirabeau de ses sollicitations. Elle exige un souper « au tour, » c’est-à-dire en tête à tête et servi par un tour de couvent. La perspective de cette rencontre dont elle se promet des jouissances délicieuses est bien ce qui effraie Mirabeau. Non certes qu’auprès d’une femme de trente ans, fût-ce d’une princesse, un homme de sa complexion ait à craindre de se trouver dépourvu de moyens ; mais c’est qu’il aime ailleurs ; et voici le problème de casuistique libertine auquel il ne trouve pas de solution. « Dans la conversation de tête-à-tête, une femme n’est plus qu’une femme, un homme est toujours un homme ; mais pesez les mots : je ne sais pas être amoureux à volonté, et du plaisir sans amour, quand on irait jusque-là, peut très vivement déplaire de la part de celui dont on a cru recevoir du plaisir et de l’amour. Si vous saviez comme