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en face des petites princesses immobiles et figées. La visite est commencée. Elle débute par un long et magistral silence. De temps en temps, M. De B… prononce une phrase correcte sur la beauté du pays. Le capitaine traduit. Le sultan sourit et répond quelque chose de vague et d’obligeant. — Mais voici des serviteurs qui arrivent, marchant sur leurs genoux, avec des plateaux d’argent et du thé. Après beaucoup de prosternemens, ils nous distribuent à chacun une tasse. Le thé est froid et très mauvais ; nous le buvons consciencieusement.

Tout de même, cela a un peu rompu la glace. La conversation reprend plus animée, quoique coupée encore de pénibles intervalles. — Mme de B… demande à la sultane : « Combien avez-vous d’enfans ? — Quatorze. — Oh ! — Et vous ? — Quatre. — Oh ! que c’est peu ! — Je ne trouve pas. » M. De B… veut poser la même question au sultan. Lui, se tord de rire. Il n’en sait rien. Quatre-vingts ou cent, à peu près. Puis on parle de bijoux. On fait des complimens sur le palais. Il paraît que tout ce qu’on dit est très grotesque. Les petites princesses répriment avec peine une forte envie de rire. Alors, nous qui sommes en face, à voir leurs mines de chattes égayées, — nous rions tout à fait. Mais c’est contagieux ; les voilà parties : elles rient tant qu’elles peuvent. Et le sultan, qui ne comprend pas, rit aussi. C’est charmant !

Tout a une fin. L’ordre se rétablit. Nous reprenons peu à peu un sérieux plus conforme au protocole international. Maintenant arrive, pour la seconde fois, une théorie de serviteurs avec des bouteilles et des verres. Ils approchent lentement. Crac ! les voilà tous à genoux qui avancent en rampant. Et alors il nous faut boire des choses fraîches, des sodas, des limonades, des sirops de rose et de tamarin, cependant qu’un autre esclave, — à moins que ce ne soit un prince, — nous offre des cigares qu’on allume à une longue mèche parfumée.

L’audience est terminée. Quelques phrases agréables encore sur la réception qu’on nous a faite, quelques souhaits obligeans pour la continuation de notre voyage, et de nouveau, avec le même cérémonial qu’à, l’arrivée, nous serrons les petites mains et repartons dans de grands saluts, pendant que les suivantes, les danseuses, les concubines, toutes les femmes du palais, accroupies sur les terrasses ou derrière les bosquets, se soulèvent curieusement pour nous regarder,