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l’air de faire quelque chose, semble goûter de nombreux loisirs. Heureux peuples, à qui la Hollande a apporté, de force, en même temps que la paix, le travail dont ils se trouvent bien, alors que leur instinct les incitait plutôt à dormir tout le jour, à l’ombre de leurs cases, en vivant de bananes et d’eau claire fournies gratuitement par la nature !

Il s’est trouvé cependant des auteurs pour reprocher aux Hollandais l’absolutisme de leur domination, le labeur en quelque sorte obligatoire qu’ils imposent à tous, l’esclavage relatif dans lequel ils maintiennent les indigènes. Cela est évidemment contraire aux théories du Contrat social et aux billevesées libertaires des colonisateurs en chambre. Mais cela devient logique, si l’on songe que tous les peuples ne sont pas également prêts pour la liberté ; que certaines nations d’Europe prouvent journellement qu’elles ne le sont point encore ; et que les races ont une enfance et une adolescence, comme les hommes. Dans ces pays où il est si facile de vivre sans travailler, l’indépendance individuelle conduit à l’oisiveté universelle, et de là, par une pente fatale, à la déchéance et à l’abrutissement. Sous un régime autoritaire, la population de Java s’est accrue dans d’incroyables proportions et, si la richesse a augmenté en même temps, les bénéfices n’en ont pas été exclusivement pour les conquérans. Ce système a le mérite de dédaigner l’hypocrisie. Il vaut bien, après tout, celui des Anglais civilisant à coups de canon, enseignant la fraternité avec des balles dum-dum, et, la trique à la main, imposant la liberté.

Buitenzorg est célèbre par son jardin botanique, qui passe pour le plus beau du monde. C’est un parc immense et merveilleusement tenu. Par malheur, seul un naturaliste de profession pourrait l’apprécier complètement et s’intéresser aux milliers d’espèces qu’il renferme, à l’admirable réunion qu’on y trouve des plantes tropicales du monde entier. Pour le vulgaire voyageur que je suis, il laisse un souvenir charmant par ses allées de vieux arbres couverts d’orchidées et de lianes, ses pentes ombreuses, ses pièces d’eau semées de gigantesques lotus, sa variété infinie de palmiers, de bambous, de fougères et de fleurs. C’est au milieu même de ce parc, dans un enclos séparé, que se trouve le palais du gouverneur, vilaine bâtisse blanche, large et lourde, sans caractère. Mais on y arrive par une avenue de banians colossaux, qui est, je crois, unique au monde. Tout autour, sur de