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un décor d’enfer, une danse échevelée et le diable en personne, assis sur l’appui d’une fenêtre, le vieux Nick, qui joue de la cornemuse. Tam demeure saisi, plus curieux encore qu’épouvanté ; puis comme ensorcelé, l’œil étrangement brillant et fixe : il vient de voir, parmi les sorcières fanées, grotesques, qui ont jeté leurs habits pour se trémousser plus à l’aise, une jolie fillette, engagée de cette nuit dans la bande, et dont la chemise, en toile de Paisley, « manquait tristement de longueur… Ah ! la respectable grand’mère ne savait guère que la chemise qu’elle acheta pour sa petite Nannie, avec deux livres écossaises (c’était toute sa fortune), ornerait un jour une danse de sorcières. » La fillette se démène, le diable joue plus fort, elle danse plus vite, tant qu’à la fin Tam n’y tient plus et rugit : « Bravo ! la chemise courte ! » Alors tout s’éteint, la porte s’ouvre, et il a à peine enlevé Maggie que la légion infernale est déjà dehors. C’est une course furieuse, une fantastique chevauchée dans les ténèbres. Si Tam atteint le vieux pont en dos d’âne, il est sauvé, car c’est un fait connu que les sorcières ne peuvent mener leur poursuite au-delà du milieu du plus proche cours d’eau. Encore un effort, Meg ! mais non ! Nannie a rejoint la bête : elle lui attrape la queue. Un bond affolé, et les voilà saufs, galopant toujours, tandis que la fillette à la chemise courte brandit rageusement la queue de Maggie.


II

Le volume de Kilmarnock eut un succès prodigieux. En moins d’un mois, l’édition fut enlevée et l’impression telle à Edimbourg que Burns, déjà présenté à Dugald Stewart en villégiature dans le voisinage de Mossgiel, conçut, vers le commencement de novembre, l’idée d’aller y tenter la fortune littéraire et chercher un éditeur pour une seconde édition, augmentée, de son œuvre. Il fit la route à cheval, accueilli, l’été, hébergé, tout le long de ce petit voyage de deux jours qui l’amena, vers le soir, devant la capitale de l’Ecosse. Pour la première fois, le poète approchait une autre vie que celle des campagnes et des bourgades ; il entrait dans la cité illustre qui allait lui offrir, avec toute l’histoire révolue, l’éclat d’un présent merveilleux.

Ce qui le frappe d’abord à Edimbourg, c’est le passé national, la survivance des temps héroïques et déjà légendaires où le