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rude à la besogne, il s’y donnait, comme à toutes choses, avec plus d’ardeur que de suite et s’évadait de la fatigue dans le plaisir. Sa ferme n’était point son unique souci, l’objet de ses pensées : il aurait pu être un bon manœuvre, non un bon maître. Très vite il devient le meilleur compagnon de toutes les fêtes, la gaîté de toutes les réunions. Il lui fallait la griserie de la vie ; il l’aimait comme les oiseaux doivent aimer l’enivrement de l’espace. Emporté par elle, il va commettre toutes les fautes, traverser les épreuves, exalter son génie : « Ces deux années et demie, qui vont de mars 1784 à novembre 1786, sont certainement parmi les plus extraordinaires qui aient jamais été vécues par un homme. Il y a eu rarement, entassés en un temps si étroit, tant d’orages de colère et de passion, tant de vaillance, tant de gaîté, tant de travail, tant de fautes, de folies, de déceptions et de désespoir. Qu’on ajoute à ce tumulte du cœur et des circonstances une production littéraire, soudaine, éclatante, d’une fougue et d’une variété sans rivales. Et, au moment même où tant d’espoir et de génie semblaient écrasés par tant d’erreurs et d’infortunes, passe un coup de vent qui balaye toutes les menaces et laisse resplendir une gloire imprévue et merveilleuse[1]. »

Cette période commence avec la maternité d’Elisabeth Paton. Dès que la Kirk-session connut l’état de la jeune fille, la procédure habituelle commença : enquête, citation, interrogatoire et, comme dénouement, l’escabeau de pénitence où les deux coupables, après avoir attendu à la porte de l’église jusqu’à la fin de la première prière, étaient conduits par le sacristain pour recevoir leur réprimande et demeurer pendant tout le sermon humiliés, exposés aux regards. Burns ressentit vivement l’outrage et garda une terrible rancune contre l’intransigeance puritaine et ce parti de sectaires arriérés qu’on appelait « la Vieille Lumière. » Des violences de ce genre agissaient sur lui comme une provocation. Sa liberté prend des airs de bravade et son audace devient fanfaronne. Surtout l’impatience de vivre gronde en lui. Bientôt il s’éprend d’une jolie fille de Mauchline, Jane, la fille du maître maçon Armour. Elle ne tarde pas à être sa maîtresse. Le père s’oppose au mariage ; Jane, circonvenue et dominée par ses parens, reprend sa parole et délie Burns de

  1. Angellier, Robert Burns, t. I, p. 73.