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son enfance : « À cette époque, je n’étais le favori de personne. J’étais noté pour une mémoire tenace, quelque chose de brusque et d’obstiné dans mon caractère, et une piété enthousiaste[1]… » Ce jeune paysan ignorait de la vie toutes les douceurs et tous les sourires ; mais de tout son effort il essayait de lui arracher ses secrets. Sans ressources pour apprendre, il attaquait l’étude avec une ardeur admirable. William Duras, attentif à l’éducation de ses enfans, faisait des prodiges. Au milieu de ses soucis, il trouvait le temps de rédiger à leur usage un cours d’instruction religieuse. Dans ce pauvre village, où il n’y avait pas d’école, il amenait un garçon de dix-sept ans, occupé lui-même de ses propres études, et lui assurait, par une entente avec quelques voisins, le gîte, la table et de maigres émolumens. Ce fut la force de l’Ecosse et sa gloire, cette curiosité passionnée, ce zèle à s’instruire qui projeta en avant toute valeur cachée aux profondeurs de la race. Robert apprend ainsi la grammaire, la langue anglaise, et acquiert les connaissances élémentaires. Il met à contribution les pauvres planchettes de livres des voisins, nourrit sa force ardente de tout ce qui est à sa portée. Le forgeron Kilpatrick lui prête une Vie de Wallace qui l’enthousiasme. Son père souscrit à une Histoire de la Bible, de Stackhouse. Enfin il a, dans un volume de classe, des morceaux d’Addison et de Pope. Mais sa lecture favorite est, avec les poèmes d’Allan Ramsay, le recueil des vieilles chansons dont l’exemplaire usé ne le quitte pas, depuis Page de quinze ans : « La collection de chansons était mon vade mecum. Je les lisais et relisais, en conduisant mon chariot ou en allant au travail, chanson par chanson, vers par vers, notant soigneusement le tendre et le sublime, l’affectation ou la boursouflure. » Et il grandit ainsi, loin de la culture oratoire et cosmopolite, enraciné au sol, tout pénétré de vie écossaise.

Déjà cette vie monte en lui, comme pour s’exprimer sur ses lèvres. L’été de sa seizième année, éclosent ensemble le premier amour et la première chanson. Robert coupait les blés et faisait bravement sa journée de moissonneur, assisté, suivant l’usage, d’une compagne qui liait les javelles : près du jeune garçon, on avait mis une jeune fille. C’était précisément Nelly Kilpatrick,

  1. Autobiographical Letter to Dr Moore. — Indiquons ici, une fois pour toutes, que nos citations de Burns sont toujours données d’après les traductions de M. Angellier dans le livre mentionné en tête de cette étude.