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Il ressemblait moins encore à l’esclavage dans les colonies sucrières. La société malgache étant divisée en castes, ainsi que nous l’avons indiqué, les esclaves formaient la dernière de ces castes, faisaient presque partie de la famille du maître, vivaient relativement heureux et étaient assurés d’une vieillesse et d’une mort tranquilles. Il est incontestable que la suppression de cette caste a soulevé de sérieuses difficultés et causé bien des ruines. Dans un livre des mieux documentés sur l’esclavage à Madagascar, M. Ed. G. André, docteur en droit, aide-commissaire des Colonies[1], formule ainsi son opinion : « L’acte du 26 septembre 1896, testament politique de M. Laroche, avait en effet libéré les esclaves, mais c’était tout, et si M. Laroche avait projeté l’organisation et l’administration de cette nouvelle catégorie d’individus, dont le nombre atteignait de 237 000 à 300 000 environ, il est non moins certain qu’en partant, il ne songea pas à communiquer à qui que ce fût ses plans. Qu’allait-il faire des libérés ? Du jour au lendemain, le général Gallieni dut organiser cette classe fort intéressante, l’initier à la vie libre… La tâche était considérable. »

Aujourd’hui, les jeunes affranchis se montrent heureux de leur nouveau sort ; mais ceux qui sont arrivés à un âge avancé et qui vivent depuis leur naissance sous la dépendance du maître, manquant totalement d’esprit d’initiative et des moyens de se suffire à eux-mêmes, sont profondément misérables. Quant aux maîtres qui possédaient 100 ou 150 esclaves, par exemple, et en tiraient profit, en les louant comme manœuvres ou en les employant à leurs travaux personnels, il est facile de se rendre compte de la brèche que ce brusque affranchissement a pratiquée dans leur budget, d’autant plus que, pendant la campagne de 1895-1896, ils avaient déjà cruellement souffert dans leurs intérêts par suite des razzias opérées sur leurs troupeaux de bœufs.

Nous le répétons, l’abolition de l’esclavage s’imposait certainement ; la deuxième République s’était honorée en supprimant l’esclavage de toutes nos possessions, et la troisième ne pouvait le maintenir sur les terres nouvellement conquises ; mais, une fois le principe admis, il eût été peut-être plus prudent et plus habile de procéder par étapes, et de ménager davantage les ressources, les facultés de nos nouveaux contribuables.

  1. De l’esclavage à Madagascar, par Ed. C. André, docteur en droit, aide-commissaire des Colonies. Arthur Rousseau, 1899.