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C’est tellement vrai qu’à Madagascar, qui a été annexé, on a été obligé d’appliquer la formule du protectorat, intérieur, c’est-à-dire de charger les chefs de certaines peuplades d’exercer leur commandement sous notre direction, et d’observer les mœurs et les usages de ces peuplades, sans avoir la prétention irréalisable de leur imposer notre législation et nos codes.

Telle est du reste l’opinion des hommes qui ont sérieusement étudié cette question, non seulement dans notre histoire, mais dans celle des peuples étrangers. M. Paul Leroy-Beaulieu, dans son savant et substantiel ouvrage : De la colonisation chez les peuples modernes, s’exprime en ces termes : « Le protectorat consiste, sinon dans le respect absolu de l’organisation indigène, du moins dans des ménagemens constans envers elle, dans une sorte de collaboration avec elle, dans des changemens graduels qui doivent s’effectuer en évitant autant que possible les froissemens. Le protectorat, au lieu d’établir une sujétion muette des indigènes aux Européens, comporte une sorte d’association des uns et des autres, avec une égalité de droits, mais une prédominance, toutefois, qui ne doit être ni rude, ni impatiente, ni surtout orgueilleuse et insolente, de la contrée protectrice. » Et M. Chailley-Bert écrit dans un rapport, à la session de Londres, du 26 mai 1903, de l’Institut colonial international, sur La législation qui convient aux colonies : « Depuis quelques années, il s’est produit dans les esprits une évolution qui fait que toutes les nations colonisatrices obéissent à une même orientation et penchent à croire que la législation coloniale doit tenir compte des lois des indigènes, de leur religion, même de leurs préjugés, sauf à y introduire peu à peu, avec la réserve voulue, certaines dispositions dont la civilisation ou la morale de nos pays nous paraissent devoir assurer le respect. »

La formule du protectorat, — et nous en avons encore la preuve dans les résultats obtenus en Tunisie, — apparaît donc la meilleure, la plus efficace et la plus économique, et le colonel Lyautey en a fait à son tour une nouvelle et lumineuse démonstration.

Il nous semble avoir également répondu à une objection qui a été souvent formulée. Au lieu de dépenser du sang et de l’argent pour occuper ces régions sauvages, n’était-il pas plus économique et plus simple de se borner à l’établissement de quelques postes côtiers et de les isoler des régions pacifiées par une ceinture de postes ? C’est en somme la question de l’utilité de la pénétration,