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ne doit pas l’État ; les enseignemens de Léon XIII, non moins inspirés par la théologie traditionnelle, expliquèrent ce qu’est l’État, ce qu’il peut, ce qu’il doit ; et, de part et d’autre, on reconnut la même doctrine, mais elle était, si l’on peut ainsi dire, différemment campée ; immuable en son essence, elle avait, d’un règne à l’autre, changé d’attitude, non de contenu.

Ce qu’on a coutume d’appeler la politique de Léon XIII fut, en tous pays, la suite naturelle de cette attitude nouvelle. Qu’en 1878, il s’adresse à Guillaume Ier, ou bien, en 1882, au président Grévy, c’est au nom de la société civile, autant qu’au nom de l’Eglise, qu’il déplore les luttes religieuses entre citoyens d’un même pays. Léon XIII, au cours de son long pontificat, ne dénonça jamais le mal qu’un État fait à l’Eglise, sans dénoncer, tout ensemble, le mal que se fait à lui-même cet État ; et les États apprirent sans cesse, si d’aventure ils risquaient de l’ignorer, que l’intégrité du lien social est compromise par une politique de Culturkampf.

Inversement, parce que Léon XIII voulait faire de la force religieuse un étai pour la charpente sociale, et parce qu’il ne voulait point permettre que le facteur religieux devînt un diviseur, il prohibait, tant au nom des intérêts de l’Eglise qu’au nom des intérêts de la société civile, l’immixtion de la religion dans les antagonismes de partis. Des catholiques, sous toutes les latitudes, prétendirent connaître mieux que lui les intérêts de l’Eglise et poursuivirent une politique dont sa sérénité s’inquiétait légitimement : ce fut pour lui une amertume prolongée, dont les fidèles de Portugal, d’Espagne, de France, reçurent à plusieurs reprises le témoignage. La théorie même de la bonne ordonnance sociale, — et non point seulement un considérant d’opportunité, — induisait Léon XIII à réclamer des catholiques, « tant que les exigences du bien commun le demanderaient, » : l’acceptation des régimes établis ; l’avantage social, encore et toujours, devenait ainsi pour les catholiques le motif et la mesure de leur loyauté politique.

Allant plus loin, Léon XIII aimait peu les partis purement confessionnels : il redoutait que, sous leurs enseignes, la religion ne dessinât des lignes de démarcation dans la société, au lieu d’y faire s’aplanir, au contraire, un terrain d’union. Le rêve qu’il caressait volontiers pour la France était celui d’une union entre les catholiques et tous les hommes de bonne volonté,