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c’était le comte Khuen-Hedervary, ban de Croatie. Son nom, qui est d’ailleurs connu de l’Europe depuis longtemps, s’était, quelques semaines auparavant, rappelé à son attention, mais non pas, il faut l’avouer, dans les conditions les plus favorables. La Croatie a été le théâtre d’émeutes, qui ont été réprimées sévèrement, et qu’à tort ou à raison, on a attribuées à l’administration du gouverneur. Le comte Khuen passe pour un homme très entier dans ses idées, d’humeur absolue, d’habitudes autoritaires. Le choix du souverain a donc tout d’abord un peu surpris : on s’est demandé si le comte Khuen aurait la souplesse et l’esprit de conciliation indispensables au maniement d’une assemblée parlementaire. La suite a surpris encore davantage. La première démarche du comte Khuen, aussitôt après avoir été investi par le souverain du mandat de faire un cabinet, a été une visite à M. François Kossuth entre les mains duquel il a capitulé, promettant de retirer purement et simplement les lois militaires qui avaient déterminé l’opposition, ou plutôt l’obstruction du parti de l’indépendance. Il n’est pas absolument impossible que l’ignorance où était le comte Khuen du milieu, tout nouveau pour lui, dans lequel il avait à opérer, l’ait amené à faire ce qu’aucun autre ministre n’avait fait avant lui, et ce qu’aucun autre probablement n’aurait fait à sa place. Quoi qu’il en soit, M. Kossuth, ayant obtenu tout ce que lui et les siens avaient réclamé jusque-là, s’est déclaré satisfait. Cessante causa, tollitur effectus : la cause de l’obstruction ayant cessé, il semblait que l’obstruction dût cesser elle-même. Le comte Khuen était autorisé à croire que tout était arrangé, et M. Kossuth le croyait sans doute aussi ; mais, lorsque le ministère s’est présenté devant la Chambre, il y a été reçu encore plus mal pour ses débuts que M. De Szell l’avait été le jour de sa chute. Il est vrai que le gouvernement a fait entendre que les lois militaires étaient seulement ajournées. Le parti de l’indépendance, non pas dans sa totalité, mais dans un grand nombre de ses élémens, est resté le parti de l’obstruction, déclarant qu’il la continuerait jusqu’à ce qu’il ait obtenu la réalisation de tout son programme. On était loin de compte. Que s’était-il donc passé ? M. Kossuth semble s’être personnellement conduit dans cette affaire avec une loyauté parfaite ; mais une scission s’était produite dans son parti et il n’en était plus le maître. Son premier mouvement a été de donner sa démission de président d’un groupe qui obéissait à d’autres influences que les siennes et manquait aux engagemens qu’il avait cru avoir le droit de prendre en son nom : puis on a parlementé, et la situation est aujourd’hui très