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Je dois ajouter que, pour l’intelligence du développement artistique de Botticelli, l’ouvrage de M. Streeter aura de quoi fournir aux futurs historiens une foule d’indications ingénieuses et de données précises. Avec une conscience et un soin des plus méritoires, l’écrivain anglais a essayé de classer à leurs dates toutes les peintures du maître, au bleu de se borner à les considérer d’après le genre de leurs sujets. Et cependant, même à ce point de vue, je crains que son savant travail n’ait pas toute l’autorité qu’il aurait pu avoir : car, si M. Streeter a très habilement fixé les dates probables de celles des peintures de Botticelli qu’il a étudiées, il a, d’autre part, volontairement négligé d’étudier et même de mentionner toute une série de peintures du maître : et cela, simplement, pour se conformer à l’hypothèse fantaisiste d’un de ses confrères, qui, tout compte fait, est bien loin de l’égaler en patience d’observation et en sûreté de jugement critique.

Ce confrère, M. Bernard Berenson, s’est avisé, il y a quelques années, de détacher de l’œuvre de Botticelli une trentaine de morceaux, pour les attribuer à un peintre inconnu qu’il a désigné du nom poétique d’Amico di Sandro. Et certes on ne saurait méconnaître que bon nombre de ces morceaux ne proviennent pas entièrement de la main de Botticelli : celui-ci, comme tous les peintres anciens, avait une bottega où de nombreux apprentis l’aidaient à exécuter les commandes dont on le chargeait. A côté d’œuvres qu’il a peintes lui-même (c’est-à-dire à l’exécution desquelles il a pris la part principale), il y en a d’autres dont il a simplement dessiné l’esquisse, laissant le reste du travail à ses apprentis. C’est ce que, de tout temps, les catalogues ont admis, et qui a fait que certaines œuvres de Botticelli, comme d’autres de Raphaël, de Dürer, ou de Rubens, ont été désignées sous le nom de « Travail d’École, » ou « Travail d’Atelier. » Mais M. Berenson, plus hardi, a prétendu réunir sous un même nom des œuvres qui, pour être toutes sorties d’un même atelier, n’en sont pas moins très différentes de facture et de style. Il a attribué en bloc à son Amico di Sandro des pièces d’un réalisme très vigoureux et très serré (qui pourraient bien être de la main même de Botticelli), comme le portrait du musée de Bergame ou un Portrait de jeune homme du Louvre, et des pièces d’une exécution infiniment plus molle, des coffres de mariage, des allégories, où doivent avoir collaboré plusieurs apprentis. L’entreprise était hardie, j’admets qu’elle valait la peine d’être discutée : mais un historien sérieux de Botticelli n’avait pas le droit de l’adopter aveuglément, ainsi que l’a fait M. Streeter. Il n’avait pas le