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à la veille de la Révolution : ce n’est qu’un premier volume ! Cette étude, — si démesurément longue, — a été écrite avec le plus grand soin, dans une forme constamment élégante et agréable, d’un style très surveillé, par un écrivain « honnête homme. » Le biographe de Mercier s’attarde avec complaisance aux entours de son sujet et ne se refuse jamais le plaisir de dire sur les questions variées qu’il rencontre son mot qui d’ailleurs est toujours judicieux et souvent délicat. Il a trop de goût pour avoir essayé de contester que Mercier fut un méchant écrivain et un assez pauvre penseur ; mais il veut qu’il ait eu dans l’histoire de notre littérature le rôle d’un précurseur, et qu’à ce titre, il mérite une sorte d’estime et de gratitude qu’on oublie ordinairement de lui accorder. Nous pouvons le rechercher avec lui, et nous saisissons d’autant plus volontiers cette occasion de parler de Mercier qu’apparemment nous n’en retrouverons pas une autre.

M. Béclard, qui s’est informé de tout ce qui concerne son personnage, n’a pas, à vrai dire, découvert sur sa vie de documens nouveaux. Mais ce que nous en savons suffit amplement à nous faire comprendre l’homme et son œuvre. Le futur peintre de Paris est Parisien de naissance et de famille. C’est un petit bourgeois, né, comme il était juste, sur le quai de l’École, où son père tenait boutique de marchand fourbisseur, A la garde d’or et d’argent. Il est élève de l’Université, et l’un des plus mauvais. Chaque matin, levé à six heures en hiver, le bras trop court pour embrasser ses dictionnaires grec et latin, il traverse le Pont-Neuf pour se rendre au collège des Quatre-Nations : s’il faut l’en croire, les maîtres y étaient aussi ignorans que les écoliers étaient dépravés. Un beau matin, sans l’avoir fait exprès, il se trouva installé dans une chaire : il fut, pendant deux ans, professeur de cinquième à Bordeaux ; on se demande ce qu’il a bien pu y enseigner. En tout cas, l’erreur fut courte, et, le plus tôt qu’il lui fut possible, Mercier s’empressa de revenir à Paris et de prendre rang parmi les gens de lettres dont la condition lui inspirait le plus pur enthousiasme. La réputation qu’il acquit dans le monde spécial des publicistes et des gens de théâtre fut surtout une réputation d’extravagance et il s’attira d’assez abondantes railleries ; car il était de ceux qui recueillent dans l’air les idées à la mode, et, pour se les approprier, les exagèrent. Cela même fait qu’il est pour nous un témoin précieux et un type très significatif des tendances, des manies et des travers de son temps.

Ce qu’il faut d’abord noter, et qui en vaut la peine, puisqu’il s’agit d’un homme qui fait métier d’écrire, c’est qu’il manque, aussi