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prétendue incapacité des Français en matière de colonisation. Que ne ferions-nous pas, au contraire, si un plus grand nombre d’hommes énergiques et honnêtes allaient là-bas tenter fortune, si les capitaux s’y portaient plus volontiers, au lieu d’affluer dans les mines d’or africaines et autres entreprises étrangères qui, pour être cosmopolites, n’en sont pas plus sûres ? Hélas ! il faudra longtemps pour faire comprendre cela à nos compatriotes. L’opinion publique est un courant qu’on peut remonter soi-même, mais dont il est difficile de changer la direction. Celui-là est particulièrement fort, car il dérive d’une foule de sources diverses : l’habitude, la nonchalance, l’ignorance, la pusillanimité, et aussi l’influence des épouses ou des mères. Et il y a, plus néfaste encore que tout cela, l’état de lutte politique permanente dans lequel notre pays vit depuis trente ans et grâce auquel la presse a, pour les exigences de sa polémique, tout travesti, tout dénaturé, tout falsifié. La plupart des Français ne puisent-ils pas leurs opinions dans les journaux, dont cependant les jugemens sont toujours partiaux, aussi bien quand ils approuvent que lorsqu’ils dénigrent ? Il existe, me direz-vous, des ouvrages spéciaux, des statistiques, des documens. C’est vrai ; mais on ne les lit point. Alors, à quoi servent-ils ? Résignons-nous donc attendre une époque plus heureuse, une génération plus entreprenante, des institutions plus stables, et tâchons de conserver pour nos descendans un empire colonial qui fait grande envie à d’autres, si, chez nous, on y attache peu de prix.


Quelques escales encore, le long de la côte : à Tourane, d’où, par le col des Nuages, on se rend à Hué ; à Quin-Nhone ; dans la baie de Kam-Rang, vaste lagune désolée, presque déserte, bordée de marécages et de coteaux que tapisse une végétation rabougrie.

Tous ces lieux, je les connais pour y avoir séjourné. Je les revois avec plaisir. Toutefois, malgré moi, quand je suis sur ces rives, mon esprit vole vers l’intérieur. Au fond, c’est là que je voudrais retourner. Je voudrais parcourir encore ces montagnes escarpées, couvertes de forêts impénétrables, traverser des cours d’eau inconnus, revivre au milieu des peuplades sauvages cette vie incertaine de l’explorateur où le lendemain se présente toujours comme une énigme, éprouver de nouveau cette sensation de responsabilité et de liberté que regrettent sans cesse ceux