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rien pour nous laver ou nous changer. La situation de « héros » a ses revers ! Au fond, nous sommes ravis de notre excursion, qui nous a montré la Chine sous un jour très spécial et malheureusement très vrai.

La situation à Pékin est plus que tendue. Durant l’interminable trajet de la gare à la Légation, on ne recueille que des injures et des gestes de menace, quand ce ne sont pas des ordures pu des pierres. — Symptôme grave, les plus excités semblent être les soldats réguliers. Et ceux-là sont bien armés. On ne circule, — précaution bien illusoire en cas d’attaque, — qu’avec sa carabine ou son revolver. Mais aussi quelle couleur dans cette vieille ville, au milieu de ces hautes murailles, dans ces cloaques et dans cette foule ! Parfois, au coin encombré d’une rue, ou sous ces portes monumentales et sombres qui ont l’horreur tragique d’un autre âge, on se sent tellement serré, tellement étreint par la population grouillante et haineuse, qu’on se demande si on en sortira jamais, si on ne va pas être entraîné par ce flot impur dans quelque lieu terrible, dans quelque impasse secrète dont on ne reviendra pas. Mais c’est ainsi peut-être qu’il faut voir les Chinois pour comprendre ce qu’ils sont encore aujourd’hui, un peuple barbare, ayant conservé tous les instincts primitifs, toutes les superstitions, toutes les cruautés d’autrefois, un peuple immobile et figé dans une demi-civilisation vingt fois centenaire qu’aucune lueur du dehors n’est venue éclairer.

Quinze vaisseaux des escadres internationales sont arrivés aujourd’hui en rade de Takou. Ils doivent envoyer des détachemens de marins ; le gouvernement chinois s’y oppose. Tout cela est grave. Ce soir, à 6 heures, les ministres des différentes nations se sont rendus au Tsung-li-Yamen. L’ambassadeur d’Angleterre, parlant au nom de tous, a terminé par ces mots : « Vous avez jusqu’à demain midi pour laisser débarquer les troupes. Sinon, la Chine aura cessé d’exister. Réfléchissez. »

31 mai. Matin. — On apprend que les détachemens russe et français ont été contraints hier de se rembarquer. L’exaspération est à son comble. Les ministres de France et de Russie ont envoyé aux amiraux la dépêche suivante qu’ils ont communiquée au Tsung-li-Yamen : « Débarquez de gré ou de force. » Les détachemens anglais et américain sont arrivés à Tien-Tsin, par voie fluviale, en se cachant dans des bateaux. Est-ce la guerre ?

Midi. — Tout est fini. La Chine cède une fois de plus. Les