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coupée. Enfin, à neuf heures, nous arrivons. Le mécanicien, moyennant un pourboire, promet de revenir nous chercher demain à quatre heures du matin. Nous nous installons dans une salle de la gare et dînons tant bien que mal avec les provisions que nous avons apportées. Toute la nuit, à tour de rôle et deux par deux, nous montons la garde. Chacun couche par terre auprès de son fusil.

30 mai. — 4 heures du matin, départ. — Une demi-heure après, nous arrivons à Foun-Taï. Aussitôt débarquée, notre troupe s’engage sur la ligne du Sud, en traversant les grand’gardes chinoises campées dans les ruines. Les sentinelles nous laissent passer sans mot dire, sans même paraître nous remarquer : nous voici dans la campagne.

Jusqu’au premier pont, la voie est à peu près intacte. Mais ce pont est incendié. Les traverses brûlent encore et les rails sont tordus ou arrachés. A partir de là, les dégâts sont plus considérables. A chaque instant, il faut enjamber des traverses brisées qui fument. Il n’y a plus trace de la ligne télégraphique !

Nous arrivons à la station de Lou-Kou-Tchao, en passant sur les poutres de fer d’un pont détruit. La gare est incendiée, les aiguilles rompues. Des billets de chemin de fer, des bandes de papier télégraphique et une foule d’autres objets parsèment la voie. Toujours personne dans l’immense plaine dénudée. Seulement de longues files de chameaux qui, paisibles, marchent sur Pékin. Et c’est un spectacle étrange que celui de cette ruine des travaux de notre civilisation à côté de ces caravanes, les mêmes aujourd’hui qu’il y a mille ans, suivant silencieuses et indifférentes la piste tracée depuis des siècles.

Tout près, il y a la ville, entourée de murailles féodales très vieilles et très hautes, avec des créneaux et des tours. On voit des poternes monumentales, toutes noires, sous lesquelles grouille une foule, d’apparence hostile, mais qui ne fait aucun mouvement contre nous[1]. Nous passons sans insister et arrivons au bord du Hoang-Ho. On aperçoit, sur notre gauche, à la sortie même de Lou-Kou-Tchao, un très vieux pont de pierre qui a été décrit par Marco Polo. Désireux d’éviter la ville, je m’engage sur le pont du chemin de fer. Mais il faut marcher sur des

  1. Cette ville de Lou-Kou-Tchao était déjà signalée comme un foyer important du mouvement boxeur. Elle fut prise plus tard par un détachement allemand, qui y exerça de dures représailles.