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russe, des banques, des magasins et des casernes, — des casernes surtout, innombrables, énormes, toutes neuves, disséminées autour de la ville comme des sentinelles de pierre.

Quand on débarque, l’aspect est étrange. Sur le quai de bois, une foule se presse, assemblage de toutes les nations, Chinois, Coréens costumés de blanc comme les pierrots, naturels coiffés de toques de fourrure, moujiks aux vêtemens de cuir ou de velours, voyans et sordides. Des voitures sont là, attelées de deux chevaux dont un seul est dans les brancards et dont l’autre galope à côté. Dedans se prélassent des gens coiffés de casquettes, qui sont des officiers, des ingénieurs, des soldats. Le nombre des hommes en uniforme qu’on rencontre est incroyable. Ce sont des troupes de toutes armes, des fonctionnaires du gouvernement, des officiers brodés d’or avec des bottes et des capotes grises.

Les rues sont larges, mais remplies d’invraisemblables ornières. Les voitures y passent au galop, tombent d’un monticule dans un trou, s’embourbent jusqu’aux essieux, marchent toujours à fond de train. On circule le long de ces cloaques sur des trottoirs en planches. Et on construit, on construit partout, en brique, en bois, en pierre. On sent une activité fébrile, un développement à outrance. Il doit y avoir une lutte engagée, un pari, entre la ville et le transsibérien. Lequel des deux sera terminé le premier, de la cité ou du chemin de fer ? Tout cela est disparate, ne s’unifiera que plus tard. Certains monumens sont de granit ; d’autres, comme la poste, par exemple, sont encore en planches, en grosses poutres mal équarries. Cela tient du campement et de la grande ville ; cela est américain, chinois, japonais, et excessivement russe malgré tout. Il faut se dépêcher, il faut aller vite, il faut être prêt, car il va y avoir beaucoup d’argent à gagner, beaucoup d’affaires à entreprendre, mais aussi beaucoup d’intérêts à défendre, beaucoup de compétitions à repousser. Et on accumule à la hâte tout ce que cela comporte de préparatifs divers : les magasins, les capitaux, les navires et les canons.

C’est sur le quai, au bord même de la mer, que se trouve la gare, le point terminus du fameux transsibérien. De là, on peut à l’heure actuelle, — pendant la belle saison, — se rendre en trois semaines environ à Saint-Pétersbourg, moyennant qu’on supplée à ce qui n’est pas fait de la voie ferrée par une navigation de quelques jours sur le fleuve Amour et le lac Baïkal. Comme terminus, Vladivostok perdra une partie de son importance