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dans la joie l’inconnu génie, pour la gloire des dieux et l’étonnement des hommes !

Cependant la représentation réaliste, — presque le portrait, — était arrivée, en Égypte, dès les temps les plus anciens, à une extraordinaire perfection. L’explication en pourrait venir de l’influence d’une religion très particulière, celle des anciens Egyptiens, qui enseignait que l’être, après sa mort terrestre, en entrant dans la seconde vie, la vie sépulcrale, emportait avec lui son « double, » dont seule la disparition définitive devait amener la mort totale, le retour au néant, après que l’âme, représentée sous la figure d’un oiseau, et, avec l’âme, le « lumineux, » parcelle de flamme détachée du feu divin, auraient cessé d’aller et de venir, de la tombe, où dormait le double avec le corps enfermé, au pur séjour des dieux. Le double, en conséquence d’un tel dogme, devait être enclos dans la tombe mystérieuse, — Mastaba, — avec la momie embaumée et ceinte de bandelettes, représenté lui-même par des images, en grand nombre, de bois ou de calcaire, moulées à la ressemblance du défunt, qu’elles accompagnaient, pour les siècles, dans cette intermédiaire vie. Et ainsi, pour que les dieux les puissent reconnaître à leur exacte ressemblance, et prolonger indéfiniment la vie de ces étranges « substituts, » à laquelle est seule attachée la survivance tant espérée, depuis l’élégant Pharaon, le beau Khâfri, jusqu’au nain difforme, l’affreux Knoumhoptou, chaque mort emportera dans la tombe de multiples images de son être, pieusement sculptées par le bon imagier de Thèbes ou de Karnak. La célèbre statue de bois du musée de Boulaq, portrait merveilleusement vivant du bon Ramké, surintendant des travaux, retrouvée ainsi dans le sépulcre, hélas ! violé, passe pour avoir près de six mille ans. C’est un âge respectable, même par rapport à l’âge probable du monde. Vraiment, il y a déjà si longtemps que la pauvre humanité aime et pense, et qu’elle sculptait son amour ! Quel perpétuel recommencement, et quelle vanité de croire inventer encore quelque chose, si l’on ne songe que l’art, comme la vie, n’est au fond que la sensation toujours nouvelle devant l’immuable inconnu, l’expérience, réapprise toujours, d’un être ou d’une race ! Et les chefs-d’œuvre, alors, qui jalonnent la route humaine, nous apparaissent un peu plus semblables entre eux, dans la fraternité du beau, comme voisins, à travers l’espace, dans les altitudes, — dans l’atmosphère de l’absolu, — parmi les grands témoins du temps. La notion même