Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une colonie, et la plus importante, se trouve d’ailleurs dans une position toute particulière : c’est le Canada. Elle pourrait se passer de la protection de la Grande-Bretagne, car la doctrine de Monroe la défendrait suffisamment si elle était indépendante. Il est vrai que cette doctrine ne la protégerait pas contre les États-Unis eux-mêmes. Non que ceux-ci méditent aucune entreprise violente ; mais le long et mince chapelet de provinces qui s’étend sur 1 200 lieues de long entre la frontière de l’Union et les terres glacées du Nord n’a pas assez de cohésion pour résister, s’il est livré à lui-même, à l’attraction de ses voisins du Midi. Les Canadiens le sentent ; et ils sentent aussi que, dans l’Union, leur autonomie, leur liberté d’allures serait moins entière que dans l’Empire britannique actuel ; les Canadiens français, surtout, craignent que leur nationalité ait peine à se maintenir, une fois confondue dans cette énorme masse. Mais cette liberté d’allures, les Canadiens la doivent à ce que l’Empire britannique n’est pas une fédération. Le jour où il leur faudrait y renoncer, où il faudrait faire partie d’un État fédéral, n’aimeraient-ils pas mieux se tourner du côté des États-Unis, avec lesquels ils ont bien plus d’affinité, qui les envahissent d’ailleurs rapidement aujourd’hui de leurs capitaux et de leurs immigrans, qui leur imposeraient moins de charges militaires, qui ne les entraîneraient pas, en tout cas, dans des guerres dont l’objet leur serait complètement étranger ? Les Canadiens français eux-mêmes ne préféreraient-ils pas cette union à une union trop étroite avec la Grande-Bretagne, car l’impérialisme voit d’un mauvais œil les élémens allogènes ? Il l’a montré à Malte, où il a persécuté la langue italienne ; il le montre dans l’Afrique australe ; et l’on a lu, pendant la guerre, dans les journaux anglais, des lettres dont les auteurs regrettaient qu’on eût laissé la langue française se perpétuer sur le Saint-Laurent.

Quand on compare la fédération de l’Empire britannique à la formation d’autres unités nationales, on oublie trop que les lois mêmes qui ont présidé à cette formation amèneraient l’union du Canada non pas à l’Angleterre, mais aux États-Unis. Or, le Canada séparé, c’est le cercle de terres britanniques qui entoure le globe, brisé ; c’est l’Empire profondément déchiré. On oublie aussi que la distance et l’absence de contiguïté sont, malgré les progrès des communications, des obstacles à une union durable et surtout étroite. L’Union américaine aurait-elle duré, aurait-