Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces conventions, nullement au Saint-Siège. Les conquêtes de Frédéric II étaient survenues, et l’aspect religieux de la Prusse avait commencé d’être modifié. Du jour où la Silésie fut annexée, il y eut en Prusse une question catholique, question de politique intérieure, qui fut tout de suite complexe et qui tout de suite s’annonça comme gênante. Le Congrès de Vienne, en assurant à la Prusse des territoires considérables tout le long de la vallée du Rhin, grossit étrangement le nombre de ses sujets catholiques : et cette question catholique, du jour au lendemain, devint plus ardente et plus aiguë. Frédéric III en avait conscience : dans la proclamation qu’il adressait à ses nouveaux sujets rhénans, il insista, surtout, sur la liberté religieuse dont il les ferait bénéficier.

Le moment était solennel pour la Prusse : elle ne pouvait plus se présenter devant l’Allemagne et devant l’Europe comme une puissance essentiellement protestante, qui tolérait chez elle, sous la protection des traités, quelques anciens essaims de populations catholiques ; et, pour obtenir le respect de leur foi et la liberté de leur culte, les Rhénans n’étaient point d’humeur à invoquer des signatures diplomatiques ; ils se prévaudraient, tout simplement, tout fièrement, de leur qualité de citoyens prussiens. Il n’était plus permis à la Prusse de considérer le catholicisme comme une végétation parasitaire s’étalant çà et là, en plaques restreintes et discrètes, sur le vieux tronc prussien : le catholicisme rhénan demandait d’être greffé sur ce tronc : à ce prix seulement, la loyauté rhénane serait acquise aux Hohenzollern. La Prusse, jusque-là, avait toléré un certain nombre de catholiques, plus qu’elle n’avait toléré le catholicisme : sa conscience désormais devait s’élargir à mesure que s’étendait sa puissance ; et la base théologique sur laquelle reposait son unité morale était définitivement vacillante, par l’effet même de ses succès militaires et de ses bonnes fortunes diplomatiques.

Niebuhr sentait cette nouveauté ; il discernait les intérêts de demain, et il en déduisait les devoirs d’aujourd’hui. Pour faire face aux besoins présens, quelques concessions au Saint-Siège n’avaient rien qui l’inquiétât. Car le Saint-Siège, d’après lui, serait à bref délai plus qu’inoffensif : c’était une force appelée à disparaître ; et, s’il suffisait, pour faire plaisir aux Rhénans et consolider ainsi l’homogénéité prussienne, de se montrer galant avec cette puissance vieillie, n’y aurait-il pas quelque étroitesse à s’y