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avec indignation, et le bruit a été tel que M. Buisson n’a pas pu continuer son discours. Il l’a repris plus tard, ou plutôt il a essayé de se reprendre lui-même et a donné plusieurs explications de ce qu’il avait voulu dire, chacun pouvant choisir celle qui lui conviendrait le mieux. Nous n’en choisirons aucune, et nous contenterons de trouver regrettable qu’un homme comme M. Buisson se laisse entraîner à des incorrections de langage auxquelles cette Chambre elle-même n’est pas habituée.

La séance a d’ailleurs été d’une violence extrême. Devant l’intolérance de la majorité, qui voulait voter sans discuter, presque toute la minorité s’est retirée. La majorité, restée à peu près seule dans la salle des séances, a voté tout ce qu’elle a voulu, c’est-à-dire la proposition de la Commission ; puis un contre-projet de M. Modeste Leroy auquel la Commission et le gouvernement ont enlevé ce caractère d’opposition en l’adoptant ; puis une motion de M. Buisson. Mais ce serait perdre son temps que de raconter tous ces incidens confus, bruyans et vides. Le contre-projet de M. Modeste Leroy, remanié en cours de séance, impose l’obligation du certificat d’aptitude pédagogique aux directeurs et aux directrices des écoles libres. On en a fait d’abord l’article 2 de la loi, puis on l’a rattaché à l’article & de la loi de 1886, ce qui (était une manière de s’en débarrasser. Sans examiner en elle-même la question du certificat d’aptitude pédagogique, il est clair qu’elle était mieux à sa place dans une loi sur l’enseignement que dans une loi relative à la sincérité des sécularisations. La Commission et le gouvernement ont réussi à faire voter celle-ci pure de tout alliage : c’est maintenant au Sénat de se prononcer.

Que fera-t-il ? Il y a quelques jours, il aurait très vraisemblablement ratifié le vote de la Chambre ; c’est beaucoup plus incertain maintenant. Les deux Chambres aiment naturellement à marcher d’accord. Or, le Sénat croyait le ministère plus solide à la Chambre et a été étonné de le voir réduit à 16 voix de majorité ; et la Chambre croyait le ministère plus sûr du Sénat et a été ébranlée dans cette confiance par le discours de M. Waldeck-Rousseau. On annonce que la Commission des congrégations ne se pressera pas de rapporter le projet, et que les vacances ajourneront tout. Cela est significatif. Pendant ces vacances, le gouvernement continuera son œuvre, et c’est seulement à la rentrée des Chambres qu’on pourra mesurer les conséquences des coups qu’il aura portés. Il est possible qu’alors, ayant d’ailleurs terminé ses exécutions, il se retrouve beaucoup moins fort qu’il ne paraît encore l’être aujourd’hui.