Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secours mutuels, qu’il n’y a plus ni bourgeois, ni prolétaires ? On y donne un état civil à la classe bourgeoise. Les travailleurs, au lieu de solliciter des secours de la munificence des membres honoraires au nom d’un vague principe de solidarité, — qui ne serait en réalité qu’une solidarité de classe, — préféreraient peut-être qu’on leur reconnût, au nom de la justice sociale, un simple droit à des subventions de l’Etat.

Nous devons constater le bien fondé d’une pareille critique de la part de ceux qui nient de prime abord l’existence entre les hommes de devoirs d’origine supérieure. D’autres, au contraire, sont fort à l’aise pour essayer de tirer parti, sans la rejeter, de la législation actuelle, qui reste, sans que l’on semble s’en douter, encore profondément imprégnée d’esprit chrétien et n’a pas renié ses origines historiques. Partant de là, ceux-ci aimeront à répéter que, dans l’usine, dans le métier, où les ouvriers auront fondé une société de secours mutuels, la place du patron est indiquée comme membre honoraire. Dans le village, où métayers, vignerons et journaliers se seront associés de la même façon, ce sera également un devoir social pour le propriétaire de leur apporter une contribution en rapport avec sa situation. Mais l’acte ne devra pas se borner à un don en argent concédé à époques fixes : nous estimons que, dans bien des circonstances, à la campagne notamment où la population est moins familiarisée avec les difficultés d’une gestion administrative et financière, le membre honoraire ne devra pas se dérober s’il est convié au travail du bureau, et qu’il lui appartient, au contraire, d’aider ses collègues participans dans la mesure de ses moyens. C’est en montrant qu’on prend à cœur les intérêts du plus grand nombre par goût et d’une façon permanente, non par fantaisie et caprice, qu’on fait tomber la défiance autour de soi. Qu’on veuille le remarquer, le bienfait en argent seul est peu estimé, et il y a à cela de justes raisons ; ce qui touche vraiment les cœurs, c’est le don de soi-même.

D’ailleurs, et ceci est un point important, l’admission des membres honoraires dans les sociétés de secours mutuels semble acceptée jusqu’à présent par la démocratie. Combien cela durera-t-il de temps ? Jusqu’à quand vivra-t-on sur de tels erremens sans éveiller l’amour-propre ombrageux de certains bénéficiaires, sans s’attirer l’anathème des logiciens ? Nous n’oserions le prévoir.