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a supprimé en quelques heures de nuit tous ces médiocres acteurs qu’il aurait fallu déposer. On les a tués à coups de fusil et à coups de hache, et nous plaignons le prince Pierre Karageorgevitch qui est appelé à monter sur le trône à travers ces mares de sang. Il y a eu déjà beaucoup de sang versé entre ces deux familles ennemies, les Obrenovitch et les Karageorgevitch. C’est une sombre histoire que la leur. On pouvait espérer que le XXe siècle ne verrait pas se reproduire les tragédies d’autrefois ; mais ce n’est peut-être pas seulement on Serbie que la civilisation est comme un vernis superficiel et que la barbarie reste au fond.

Le prince Pierre Karageorgevitch était loin de Belgrade, lorsque a eu lieu cette odieuse boucherie : il n’en est pas responsable, bien qu’il se trouve en profiter. Le dernier des Obrenovitch meurt sans enfans : c’est une dynastie qui s’éteint, et les rivalités du passé ne se reproduiront pas dans l’avenir. D’après les premiers récits qui nous sont parvenus, la conspiration a été l’œuvre de quelques officiers. Elle s’explique trop facilement par la situation intérieure de la Serbie, par l’impopularité mêlée d’exaspération où étaient tombés le roi et la reine, par la menace qui pesait sur un trop grand nombre de têtes autour d’eux, pour qu’on en cherche la cause ailleurs. L’incident est tout local dans son origine, il le restera sans doute dans ses effets. L’accord qui s’est maintenu jusqu’ici entre l’Autriche et la Russie à propos des affaires balkaniques n’en sera pas troublé, nous voulons le croire, car, s’il l’était, les conséquences en seraient très graves. C’est bien assez que nous ayons à déplorer le sang qui vient d’être versé.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.