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au premier moment, a dérouté les esprits en Angleterre : le jour même où M. Chamberlain prononçait son discours de Birmingham, M. Balfour en tenait un autre tout à fait différent à Londres. Une députation d’agriculteurs était venue lui demander le maintien des droits sur les blés, établis après la guerre sud-africaine et pour en payer les frais. Les agriculteurs sont partout protectionnistes, ou le deviennent facilement : la démarche de ceux-ci en est la preuve. Mais que leur répondait M. Balfour ? Qu’il était impossible de considérer des droits sur les blés comme devant figurer d’une manière permanente dans le système fiscal de l’Angleterre : en conséquence, il se refusait à leur donner satisfaction. Toutefois, il y avait de singulières réticences dans son langage, et il prenait la précaution de dire qu’il n’y avait pas de régime économique immuable. Si c’était une concession faite aux idées nouvelles de M. Chamberlain, elles n’ont pas été sur le premier moment bien comprises, car tout le monde a signalé la contradiction qui existait ou qui semblait exister entre les deux ministres. On s’est demandé s’ils étaient d’accord, ou si M. Chamberlain, usant, comme il l’a fait quelquefois, d’une initiative impérieuse, espérait entraîner ses collègues sans les avoir consultés. La question a été posée à la Chambre des communes par sir Charles Dilke. M. Balfour et M. Chamberlain ont pris successivement la parole, et on n’a pas tardé à reconnaître qu’ils étaient du même avis, le premier faiblement et le second fortement, différence à laquelle on est habitué. M. Chamberlain s’était montré frappé à Birmingham des effets politiques du Zollverein allemand ; M. Balfour, parlant devant la Chambre des communes, s’est montré frappé à son tour de la grandeur économique croissante des États-Unis et de l’Allemagne, et il faut bien reconnaître que, si le libre-échange a été jusqu’ici profitable à l’Angleterre, le système protecteur n’a pas nui, tant s’en faut, à la puissance expansive de l’Allemagne et des États-Unis. A côté de cette comparaison, M. Balfour a fait une réflexion. Il a dit que, lorsque l’Angleterre était entrée autrefois dans les voies du libre-échange, elle espérait y être suivie par tous les autres pays de l’univers, qui voudraient tous profiter des bienfaits de cette doctrine. Cette espérance ne s’est pas réalisée, et c’est la protection qui règne sur l’univers. Dans ces conditions, a demandé M. Balfour, l’Angleterre doit-elle continuer à servir de « cible passive » à tout le monde ? Ce n’est pas généralement sous cette image qu’on se représente l’Angleterre, et personne n’avait cru que les produits du dehors, qu’elle accueillait si volontiers, la perçassent comme autant de flèches meurtrières. Quant à M. Chamberlain,