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draient lui imposer ex abrupto, sans que la solution en ait été préparée en rien. L’entente de l’Autriche et de la Russie nous a peut-être épargné un grand péril. Toutefois on aurait tort de croire que le problème pourra toujours être traité par prétérition. Le moment viendra où les puissances seront obligées de prendre parti dans un sens déterminé, et il est infiniment probable que l’Italie ne restera pas alors l’esprit inerte et les bras croisés. Que fera-t-elle ? Nous n’en savons rien ; le sait-elle elle-même ? Ni elle, ni, au surplus, aucune autre puissance n’a dès maintenant des projets arrêtés en vue d’éventualités peut-être lointaines. Qui sait pourtant si elles ne se présenteront pas plus tôt qu’on ne s’y attend ? Des incidens comme celui qui vient de se produire à Belgrade, et dont nous parlerons plus loin, montrent combien la situation est instable. L’Europe, aujourd’hui, ne rêve que tranquillité, sécurité, paix, et nous souhaitons qu’elle conserve des biens aussi précieux : mais le moment approche peut-être où le plus sûr moyen de les conserver sera de satisfaire certaines aspirations dans ce qu’elles auront à la fois de légitime et d’impérieux.

Ces réflexions, qui nous sont venues à l’esprit à propos de la crise irrédentiste, s’en écartent quelque peu. Les choses n’en sont pas encore là. Il n’en est pas moins vrai que cette crise n’aurait pas pu se produire en Italie il y a peu d’années encore, et qu’elle révèle un état de choses assez nouveau. Il y a dans l’a me des peuples des forces endormies et inconscientes, qui peuvent rester telles très longtemps. Lorsqu’elles se réveillent tout d’un coup, et comme en sursaut, c’est qu’il y a des causes latentes qui y travaillent. Les évolutions sont lentes dans le monde politique comme dans la nature ; mais elles y sont aussi continues, et il faut en surveiller et en signaler tous les signes extérieurs.

M. Chamberlain vient de causera l’Angleterre et au monde, sans parler de son parti, une nouvelle surprise, qui passera plus difficilement que les autres. C’est un homme d’un esprit hardi que M. Chamberlain, et absolument dénué de tout ce qu’on appelle préjugés ou traditions. C’est aussi un grand révolutionnaire. À tous ces titres, rien n’est plus surprenant que de le voir occuper aujourd’hui la place principale et jouer le rôle prépondérant dans le parti conservateur. Il y est, par son caractère et par sa situation, un paradoxe vivant. Sa qualité dominante est la volonté. Lorsqu’il s’est mis une idée en tête, rien ne peut l’en déloger ; elle s’empare de son intelligence tout entière ; elle y devient une idée fixe, avec tous les avantages et tous les inconvéniens que