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grande, la création d’une Université italienne, comme en ont obtenu d’autres races de l’Empire, prétention qui ne semble avoir rien d’exagéré si l’on tient compte du nombre d’Italiens qu’il y a dans l’empire, de leur intelligence et de leur activité. Mais le gouvernement autrichien redoute, ce qui est assez naturel de sa part, d’augmenter encore, par une concession de ce genre, le particularisme de l’élément italien. Aux prises avec tant de races différentes, dont les exigences le harcèlent sans cesse, il cède lorsqu’il ne peut pas faire autrement ; mais il s’applique à donner chaque fois le moins possible, sachant bien que la concession du jour servira à préparer la réclamation du lendemain. Le gouvernement autrichien n’a consenti jusqu’à présent qu’à créer quelques chaires italiennes dans les Universités existantes : c’est ce qu’il a fait notamment à Innsbrück. Il est malheureusement dans sa destinée de ne pouvoir contenter les uns sans mécontenter les autres. S’il donne une satisfaction aux Italiens, il déplaît aux Allemands. Chacune des races de l’empire voudrait avoir tout pour elle.

À Innsbrück donc, quelques cours italiens ont été ouverts. À l’inauguration de l’un d’eux, celui du professeur Lorenzoni, des troubles ont eu lieu : les étudians italiens ont été plus ou moins molestés par les étudians allemands. Ces désordres n’ont pas été matériellement très graves, et sans doute on ne leur aurait pas attribué, à une autre époque, d’autre importance que celle d’un accident local ; mais aujourd’hui il n’en a pas été ainsi. L’indignation s’est répandue en Italie et y a pris feu comme une traînée de poudre. Les manifestations se sont succédé dans un grand nombre de villes : elles ont commencé à Venise, et ont gagné ensuite le reste de la péninsule. Les étudians de race italienne ayant été malmenés en Autriche, les étudians d’Italie ont pris les premiers fait et cause pour eux ; mais leurs maîtres, loin de les retenir, les ont généralement imités, et le mouvement n’a pas tardé à se généraliser. Le caractère en a été partout le même. Des cris de colère et de haine ont été proférés contre l’Autriche ; son ambassade à Rome et ses consulats en province ont dû être protégés par la police ; et, dans les clameurs qui se sont élevées, la personne même de l’empereur François-Joseph n’a pas été toujours respectée. Le gouvernement a fait ce qu’il a pu pour arrêter le mouvement, et il a réussi à le suspendre. Mais c’est un gouvernement d’opinion, et il s’est trouvé dans la nécessité d’agir avec ménagement afin de ne pas surexciter les esprits qu’il voulait apaiser. Une maladresse de sa part aurait pu avoir des conséquences