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quand il n’est pas encore monté à l’horizon, et qu’il resplendisse encore, même quand il n’y est plus… Cette œuvre !… Elle donne le vertige. S’élever ou se pencher vers l’œuvre de Victor Hugo, — car son immensité est en haut, en bas, partout, — c’est considérer le gouffre de la beauté. Ce gouffre, etc. » Toutes ces métaphores ne valent pas une raison. Mais d’ailleurs, sous ce luxe d’images, la pensée de l’écrivain reste très nette. C’est d’abord qu’avant la venue de Victor Hugo il n’y avait rien, que Victor Hugo a fait jaillir de son cerveau la poésie tout armée et qu’on a eu jusqu’ici le plus grand tort de prétendre qu’il ait pu devoir quoi que ce soit à ses plus illustres prédécesseurs. M. Mendès se donne infiniment de mal pour établir que le romantisme de Hugo est pour le moins contemporain de celui de Lamartine et de Vigny ; quelque peine qu’il ait prise, d’ailleurs, à rapprocher ou à brouiller les dates, je crains qu’il n’y ait perdu son effort et son temps ; les dates sont les dates, et elles établissent qu’au moment où parurent les Méditations et les Poèmes antiques et modernes, Hugo n’était encore qu’un imitateur de Lebrun ; au surplus une loi de son génie a voulu que les voies où il s’est engagé lui eussent été d’abord ouvertes par d’autres ; et il n’en est pas moins grand pour cela.

Ensuite, et depuis le jour où Victor Hugo eut enfin pris conscience de lui-même. M. Mendès ne laisse plus aux poètes d’autre droit que d’être les disciples dociles du « maître » et les fils respectueux du « père. » Il s’attriste et il se scandalise s’il voit quelques-uns d’entre eux faire effort pour se soustraire à cette domination et se montrer, eux aussi, jaloux de leur originalité. Pareille défection ne peut cacher que de mauvais desseins et provenir que de mobiles médiocrement avouables : c’est une espèce de sacrilège. Le mot ne paraît pas trop fort à M. Mendès pour apprécier la réaction qui se manifeste vers 1850 contre le romantisme de Victor Hugo. « Oui, c’est une chose qui n’a pas encore été dite, mais qu’il faut dire cependant, bien qu’on s’en puisse attrister : trois jeunes hommes, poètes magnifiquement doués et qui devaient bientôt jeter un si grand lustre sur la seconde moitié du siècle ne furent pas éloignés d’abord de désavouer en celui où elle s’incarnait la révolution poétique dont ils étaient les fils ou les petits-fils. Ce reniement ils l’enveloppèrent des plus parfaites apparences de respect… Mais malgré ce qu’il gardait de religion extérieure, ce reniement n’en existait pas moins assez féroce. Comment expliquer cette sacrilège hostilité intime, recouverte de semblans de piété, faisant songer à des prêtres qui, tout en accomplissant les rites