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voici derechef à Rangoon, retrouvant comme toujours après une absence assez longue notre « chez nous » avec plaisir. Tandis que nous reprenons la mer, je me prélasse dans ma cabine qui commence à prendre son cachet personnel, grâce à quelques achats et à quelques larcins dans les ruines. J’aime à y passer une partie du jour tant que je n’en suis pas chassé par l’obligation de chercher sur le pont, à défaut de fraîcheur, un peu d’air renouvelé et de vent qui passe. Les murs de mon home sont tapissés de choses diverses et bizarres. Des flacons de toilette pendent dans des enveloppes de toile. Une étagère porto des livres où Musset coudoie Lamartine, Balzac, Chateaubriand, Baudelaire ; Joseph de Maistre y fraye avec Renan. Des armes sont accrochées de tous côtés, fusils de chasse et revolvers d’ordonnance, sabres shans, flèches sauvages, kriss malais, arcs et lances. Des pipes chinoises s’y dissimulent derrière des soies birmanes, non loin d’un parapluie acheté aux Trois-Quartiers. Dans un coin, un bouddha de marbre songe au Nirvana éternel, et un petit bonze en bois sculpté, assis sur une boîte de cigares, regarde pieusement le ciel.


MAULMEIN

14 janvier 1900. — A 2 heures de l’après-midi nous arrivons à Maulmein. La ville est située sur la Salwein, à peu près à la même distance de la mer que Rangoon. Mais la rivière, encombrée d’îles couvertes de forêts, avec des rives ombreuses et des montagnes qui ferment l’horizon, est bien plus pittoresque que le bas Irawady.

Maulmein s’étend au bord de la Salwein, jusqu’à son confluent avec le Galeï. Comme d’ordinaire, cette grande ville de 40 000 habitans est à peine visible, perdue qu’elle est dans la végétation et les jardins. Une ligne de collines élevées, parallèle au fleuve, la divise en deux parties. Sur les deux sommets principaux, de grandes pagodes s’élèvent, dressant dans le ciel leurs dômes d’or. On a, de ces points dominans, une vue étendue et superbe sur la nappe étincelante du fleuve dont le cours sinueux est difficile à démêler au milieu des îles verdoyantes dont il est semé. En face, c’est la vieille ville de Martaban, antique cité aujourd’hui déchue, mais que jalonnent, au-dessus du feuillage, les flèches dorées de ses temples.