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confessant leur faiblesse, demandant au Dieu qu’elles ignorent de les prendre en pitié. Pour moi, je ne puis douter que l’Etre suprême voie avec indulgence cette religion si douce, toute de philosophie et de rêve, dont les prescriptions ne sont que des conseils, et dont l’idéal est le repos. Religion vieille et un peu sceptique de peuples qui, à force de vivre, ont perdu beaucoup d’illusions et beaucoup d’espoirs, et qui, à contempler les douleurs d’ici-bas, se sont mis à douter du bonheur éternel ! Et regardant passer près de moi un vieux bonze vêtu de jaune dont le crâne rasé reluit au soleil, je me prends à souhaiter qu’il me pût communiquer une part de sa paisible foi satisfaite de si peu de chose dans l’avenir comme dans le présent.

Rangoon est une grande cité moderne. Les rues, larges et alignées au cordeau, ont une régularité toute britannique. Mais quelque anglaise que soit la ville, elle n’en possède pas moins un cachet original qui lui vient de cette foule birmane, toujours grouillante et toujours gaie, où les hommes sont vêtus de couleurs claires, d’écharpes de soie rose, jaune ou bleue, où les femmes se promènent gravement, la figure maquillée, les sourcils marqués au pinceau, les cheveux relevés à la chinoise, en fumant avec gourmandise d’énormes cigarettes enveloppées de feuilles vertes. Tous ces gens ont pris l’habitude des choses d’Occident qui leur paraissent confortables. Les riches marchands birmans ont leur coupé traîné de deux poneys avec un domestique debout par derrière. Le peuple circule en fiacre ou en tramway, ôtant respectueusement ses babouches pour monter en voiture. L’aspect général est poli et aimable. Les femmes sont souvent jolies et paraissent coquettes. Elles quêtent les regards des hommes et portent dans leur belle chevelure notre des grappes de fleurs qui pendent de côté au-dessus de l’oreille.

Les Birmans aiment beaucoup le théâtre. Il y en a plusieurs à Rangoon, qui donnent chaque nuit d’interminables représentations. Le spectacle consiste en longs discours et en danses qui nous ont paru assez dénuées de grâce. Quant à démêler, le fil de la pièce, il n’y faut point songer. Le public, assis par terre, apporte tout ce qui lui est nécessaire pour manger et même pour dormir. C’est à cette dernière solution que je me serais immanquablement rallié si notre présence au théâtre s’était un tant soit peu prolongée.

L’inspection des monumens se réduit tout naturellement en