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couvert de rizières, avec des palétuviers le long des cours d’eau. Parfois dans cette plaine rase un monticule s’élève, reste d’un îlot jadis battu par les flots. Au milieu des arbres qui le couvrent une pagode se dresse avec son dôme en forme de cloche et ses hampes dorées où se balancent de longues bandes d’étoffes qui portent des invocations à Bouddha. Le vent les agite et fait monter ainsi, au dire des bonzes, d’incessantes prières vers le créateur.

Dès qu’on aborde dans ce pays, un trait caractéristique vous frappe tout d’abord : c’est le nombre incroyable de pagodes qui couvrent son sol, répandues dans les villes et les campagnes, couronnant les mamelons, jalonnant le sommet des montagnes, surgissant, comme poussées par une force naturelle, dans les forêts et au bord des fleuves.

Quoique différant à l’infini par la nature des matériaux dont ils sont construits, par les ornemens qui les couvrent, par leur position et leur grandeur, tous ces temples ont une disposition commune qui consiste dans un monument central très élevé, en forme de cloche, terminé par un piton ouvragé. Le tout est généralement doré ou blanchi à la chaux. Cela s’appelle une dagoba et est censé renfermer des reliques insignes de Bouddha, ou de quelque grand saint. Autour de la masse centrale se trouve une large promenade circulaire entourée d’une foule de petites chapelles, en bois ou en pierre, dorées ou peintes, où des Bouddhas de différentes sortes attendent les cliens. Ces derniers sont nombreux. Les yeux fixés sur l’idole, ils prient avec les marques de la dévotion la plus profonde ; des hommes sont penchés, le front sur les dalles, et des femmes, assises sur leurs talons, élèvent vers le ciel, dans une attitude charmante, leurs mains jointes qui portent des branches de mimosa.

On reste confondu devant ces marques de piété et de foi, les mêmes en somme chez tous les croyans, qu’ils soient dévoués à Bouddha, à Mahomet ou à Jésus. On se demande si Dieu ne voit point du même regard de favorable pitié tous ces fronts inclinés vers la même poussière, tous ces cœurs qui souffrent des mêmes tristesses, gémissent des mêmes maux, aspirent aux mêmes joies, toutes ces bouches qui l’implorent sous des noms différens dans toutes les langues de la terre. On sent que la seule grande erreur, c’est l’orgueil humain, appuyant ses négations sur sa médiocre science, sa lamentable philosophie, sa chancelante raison, et que la grande vérité universelle est dans l’humilité des âmes