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nous saisit, nous restons immobiles et muets devant ce spectacle, regardant diminuer et se raccourcir peu à peu l’ombre portée très nette que le pic projette dans la campagne aux premiers rayons du soleil.

Mais nous avons encore un long chemin à parcourir. Nous avalons une tasse de thé préparée par le bonze et nous nous remettons en route.

La descente de ce côté est encore plus raide que la montée ne l’était de l’autre. Des chaînes ont été fixées dans les flancs de la montagne et on s’en sert pour s’accrocher le long de rochers à pic dans lesquels on a taillé des marches minuscules que les pieds des générations ont usées. Puis c’est la grande forêt avec un sentier toujours fait de rocs éboulés et d’énormes racines. Les jarrets sont brisés par le perpétuel effort auquel les condamnent ces gradins branlans faits pour des géans. Notre guide, qui ne dit pas un mot d’anglais, ignore manifestement le chemin. Tout le jour nous continuons cette descente, n’ayant pour étancher notre soif que deux bouteilles de bière et quelques noix de coco trouvées enfin dans un village cinghalais. Nous apprenons tardivement que S… s’est égaré de son côté avec tous les bagages et qu’il est resté coucher dans une hutte indigène. N… et moi arrivons enfin à dix heures du soir à Ratnapura épuisés de fatigue et dévorés par les sangsues qui ont pénétré par tous les interstices de nos vêtemens.


RATNAPURA

20 novembre, — Ratnapura est une jolie petite ville, dans un site pittoresque, au bord d’une rivière. Nous y sommes installés depuis quelques jours, partageant notre temps entre le repos et la chasse. Aujourd’hui nous avons été assez loin, dans des plaines inondées, tuer des bécassines. Nous rentrons à la tombée de la nuit.

Dans des charrettes minuscules que traînent des petits bœufs, nous roulons sur la grande route entre deux fourrés de cocotiers, d’aréquiers et d’arbres en fleurs. Ces petits bœufs sont étranges, aimables et drôles, avec une bosse sur les épaules. Le joug n’est fixé par rien. Il repose sur le cou. C’est la bosse qui pousse dans les montées ; ce sont les cornes qui retiennent dans les descentes. Et on va comme cela au trot, quelquefois au galop,