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Tu te disais : Plus tard, quand ce sera la vie !
Quand mes deux mains tiendront le bonheur vague et doux,
Quand mon cœur infini, mon front et mes genoux
Seront lourds de trésors et n’auront plus d’envie !

Cœur qu’un vent de désir chaque jour déplia,
Tu te disais : Plus tard, au temps des beaux voyages,
Respirer l’air, soufré par de secrets orages,
Dans des jardins pleins d’ombre et de magnolias !

— Enfans, regardez bien toutes les plaines rondes,
La capucine avec ses abeilles autour,
Regardez bien l’étang, les champs, avant l’amour,
Car après l’on ne voit plus jamais rien du monde.

Après l’on ne voit plus que son cœur devant soi,
On ne voit plus qu’un peu de flamme sur sa route,
On n’entend rien, on ne sait rien, et l’on écoute
Les pieds du triste Amour qui court ou qui s’assoit.

 — Ah ! si l’on t’avait dit que ce que l’on convoite,
Tandis qu’un beau Juin dehors baigne les prés,
C’est d’être tous les deux, dans l’ombre, à respirer
Les chers secrets dormant au creux des paumes moites.

Pauvre enfant qui jouais ! ah ! si l’on t’avait dit,
Quand ton arrosoir vert inondait les groseilles,
Que tes larmes plus tard, aux gouttes d’eau pareilles,
Crépiteraient ainsi par les soirs attiédis !

Si l’on t’avait appris qu’un cœur toujours malade,
Et blessé chaque soir d’ombre et de volupté,
Ne goûte qu’en mourant l’odeur des roses thé
Dans l’air chaud, remué par les cris des pintades ;

Ah ! si l’on t’avait dit, lorsque sous ton chapeau,
Tu riais de tenir du soleil dans tes lèvres,
Que l’été te serait un jour comme une fièvre,
Et qu’enfin ce serait atroce qu’il fît beau !