Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/888

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans risques, leur flotte, en vivres, en charbon, en matériel.

La Grande-Bretagne a pu demeurer la nation prééminente dans la Méditerranée tant que les côtes de l’Afrique du Nord ont appartenu à des États musulmans ; mais, aujourd’hui, Bizerte pèse d’un poids très lourd dans la balance des forces et des intérêts ; même l’annexion définitive de l’Egypte ne saurait compenser, pour l’Angleterre, l’avantage que donne à la France son empire algérien-tunisien : Alexandrie est trop loin de la Méditerranée occidentale où se joueraient, à l’heure décisive, les suprêmes parties. Plus que partout ailleurs, dans cette Méditerranée où les presqu’îles s’avancent à la rencontre les unes des autres et où tant d’îles s’égrènent entre les rivages opposés, l’hégémonie sur mer est liée à la coopération d’une forte armée de terre et d’une flotte puissante et, par suite, à la possession des côtes et des ressources de l’arrière-pays. Et c’est pourquoi l’Angleterre ne saurait garder la prépondérance qu’avec le concours de l’Italie et en la partageant, dans une certaine mesure, avec elle ; sans une entente avec l’Italie et la neutralité de l’Espagne, Malte et Gibraltar ne seraient plus que des forteresses isolées, et, par cela même, vulnérables.

Une inscription pompeuse, sur la porte principale de La Valette, atteste que c’est « la voix de l’Europe (en 1814) et l’amour des Maltais » qui ont confirmé à l’Angleterre la possession de l’ancien domaine des chevaliers. La « voix de l’Europe, » qui s’exprime par les traités, n’est que la notation provisoire de l’équilibre des forces ; et quant à « l’amour des Maltais, » les derniers incidens ont montré sa fragilité. L’union de Malte avec la Grande-Bretagne n’est pas un mariage d’inclination ; les puissances, en 1814, n’ont pas déféré aux vœux d’une population, elles ont régularisé un rapt. Malte est une belle fille qui, ne pouvant vivre seule, se donne aux triomphateurs, ou plutôt, c’est une captive que le vainqueur trouve parmi les trophées du champ de bataille : Gibraltar et Malte, « les clés de la Méditerranée, » appartiendront demain, comme aujourd’hui et hier, comme de toute antiquité, aux maîtres de la mer.


RENE PINON.