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à La Valette et à ses faubourgs l’aspect d’une ville uniquement peuplée de riches. Beaucoup, cependant, en Algérie surtout, se fixent à demeure. Ils vivent volontiers sous la loi de la France, et ils ne se cachent pas de nous préférer aux Anglais et aux Italiens ; ils ont gardé un fâcheux souvenir des quelques années de l’occupation française, mais ils comparent volontiers, au sort actuel de leur île, ce qu’elle serait devenue sous notre domination : une petite Corse dont les habitans seraient Français.

L’homme de ce siècle qui, sans doute, a eu au plus haut degré le sens de la politique française dans la Méditerranée, celui qui a souhaité avec le plus de passion et travaillé, peut-être, avec le plus de succès à l’accroissement de notre prestige et de notre influence, le cardinal Lavigerie[1], a été aussi celui qui a le premier compris tout l’avantage qu’il y aurait pour la France à s’attacher cette race répandue dans toute la Méditerranée et très nombreuse dans notre empire africain. Il s’entourait volontiers de prêtres maltais ; ils constituaient, autour de lui, si l’on ose dire, un état-major pour sa politique méditerranéenne. Le grand cardinal aimait en eux leur souplesse et surtout leur dévouement passionné à la foi catholique et au Saint-Siège ; il pensait que, dans une colonie menacée par l’affluence des Italiens du Sud, l’élément maltais pourrait faire, aux Siciliens et aux Napolitains, un contrepoids d’autant plus utile que, malgré le voisinage des deux pays, il n’y a guère de sympathie entre les deux races ; enfin, il croyait voir, dans le Maltais, un peuple d’origine africaine, demi-arabe, qui aurait pu devenir le meilleur intermédiaire entre les Français et les indigènes. Aussi, à Malte, Mgr Lavigerie était-il le plus populaire des hommes. Lorsqu’il y vint, en juillet 1882, les habitans lui firent un accueil splendide ; sa voiture fut dételée, traînée au milieu d’un enthousiasme frénétique. D’instinct, les Maltais vénéraient et acclamaient l’homme en qui ils sentaient un ami de leur race, celui que l’on devrait appeler le Cardinal de la Méditerranée, tant il en a compris l’âme et aimé les rivages. N’est-ce pas lui qui, parmi tant d’idées fécondes, eut un jour celle de rendre à la vie et à sa destination primitive cette organisation d’apparat qu’est aujourd’hui l’ordre de Malte et de l’envoyer poursuivre, dans l’Afrique centrale, la libération des captifs et la lutte contre l’Islam ?

  1. Voyez le vivant portrait qu’a tracé de lui M. Charles Benoist dans Souverains, Hommes d’État, Hommes d’Église (Lecène et Oudin).