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ne serait plus qu’un rocher fortifié, mais incapable soit de recueillir ou de réparer une escadre, soit d’interdire le passage.

Telles sont les craintes que la campagne de M. Gibson Bowles a fait partager à toute l’Angleterre. A la demande du député libéral, une commission composée de l’amiral Rawson, de sir William Nicholson, de M. Mathews et de M. Gibson Bowles lui-même, fut envoyée sur place pour se rendre compte de l’étendue du péril. Ses constatations confirmèrent de tous points les inquiétudes exprimées par l’honorable député. Restait à trouver les remèdes. Fallait-il continuer l’œuvre entreprise, achever de dépenser les 112 millions de francs prévus par le projet de M. Goschen, pour avoir le port et les trois bassins de radoub ? M. Gibson Bowles ne le pensait pas ; il réclamait de toutes ses forces l’abandon immédiat de travaux qui ne serviraient qu’à augmenter les surfaces vulnérables ; mieux valait, selon lui, réaliser ainsi immédiatement une économie sur l’exercice en cours, et employer tout l’argent voté à créer un port et tout un établissement naval sur la face orientale du rocher. C’est là un remède héroïque, mais un remède extrêmement difficile à appliquer, très coûteux et qui, à supposer qu’il soit réalisable, ne donnerait de résultat que dans une dizaine d’années. On sait, en effet, que du côté de l’est, la montagne plonge tellement à pic dans la mer, qu’il n’a pas même été possible d’y établir une route au-delà de la Grotte des Singes[1] ; que les fonds deviennent très vite plus considérables qu’à l’ouest ; que les vents d’est y soufflent très souvent avec une grande violence et gêneraient le travail ; qu’enfin, si l’on parvenait, à grands frais, à créer un port, on ne trouverait de place ni pour loger des bassins de radoub, ni pour installer, à l’abri des obus, tous les ateliers et magasins nécessaires. Des études ont été faites, et la question est toujours en suspens ; mais, en attendant, du côté ouest, les travaux continuent activement, malgré l’opposition de M. Gibson Bowles, et l’on escompte pour 1904 l’achèvement des nouveaux môles, et pour 1905 la mise en service des bassins.

Mais jusqu’à ce qu’il puisse disposer de ce Gibraltar transformé, l’Empire britannique a besoin, pour sa défense, de garantir la ville et le port contre tout danger et d’y ménager à ses flottes un asile inviolable. Il ne peut y parvenir qu’en s’assurant,

  1. C’est à Gibraltar que l’on trouve les seuls singes sauvages d’Europe, une cinquantaine d’individus.