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D’ailleurs, même aujourd’hui, quoique les novateurs aient été forcés de reculer sur plusieurs points et que les conservateurs aient dû abandonner plus d’une position reconnue intenable, le départ des erreurs et des vérités mises en circulation par cette science nouvelle est loin d’être complètement fait. Le problème demeure posé devant les apologistes chrétiens, sans qu’on puisse dire encore quand ils s’accorderont sur une solution définitive.

Ces problèmes étaient plus particulièrement graves pour le protestantisme anglais, qui avait gardé, de ses origines puritaines, non seulement le culte, mais la superstition de la Bible, qui était habitué à chercher et à trouver, dans la lettre des Saintes Écritures, une sorte d’oracle divin, apportant réponse à toutes les questions de l’esprit humain. Il différait, à ce point de vue, du catholicisme, qui reconnaît, à côté de la Bible, une Église infaillible pour l’interpréter, une tradition vivante pour la compléter. Pusey s’en rendait compte, quand il écrivait, quelques années plus tard, à un évêque anglican : « C’est la Bible, plus que l’Église, qui tient attachée au christianisme la masse des Anglais ; leur source de foi est, je crois, la Bible ; si leur confiance dans la Bible est ébranlée, leur christianisme le sera aussi[1]. » Est-ce pour cette raison, par intuition plus ou moins consciente du péril, que l’Angleterre fut si lente à s’ouvrir aux travaux de l’exégèse allemande ? Dans la première moitié du XIXe siècle, les théologiens anglicans, même les libéraux, s’étaient tenus systématiquement à l’écart de ces problèmes, comme s’ils en ignoraient ou en redoutaient la gravité. Il n’en était pas question dans les controverses religieuses d’Oxford[2]. Ce fut seulement après la sécession de Newman, à la faveur de la réaction « libérale » qui se manifesta alors dans l’Université, que la critique biblique fit enfin irruption dans la vieille théologie anglicane. Les anciens ne cachèrent pas leur scandale et leur effroi. Un recteur de Lincoln College, prêchant devant l’Université, y exprimait le vœu que « la théologie germanique et la littérature germanique fussent au fond de l’Océan germanique[3]. » Les tenans du Broad church se firent les propagateurs de cette critique. Poussés par le souffle régnant et par la tendance naturelle

  1. Life of Pusey, t. IV, p. 230.
  2. Pusey, cependant, mis en éveil par un séjour à Göttingen en 1825, avait entrevu la gravité de ces questions.
  3. Benjamin Jowelt par L. Tollemache, p. 68.