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batteries flottantes du chevalier d’Arçon, ne serviraient plus guère aujourd’hui qu’à empocher un débarquement par surprise. De même, les célèbres galeries, percées en tunnel dans la masse calcaire, et qui montent en pentes douces le long du flanc nord du rocher, n’ont plus de valeur militaire ; les embrasures, taillées à même le roc, offrent d’admirables points de vue sur la mer et la côte espagnole, mais, à l’exception de quelques pièces modernes de 57 mm. à tir rapide qui commandent toute la zone neutre, leurs vieux canons sont aujourd’hui plus pittoresques que dangereux ; les parois du rocher ne résisteraient pas à l’ébranlement des détonations de la grosse artillerie. C’est sur les flancs et la croupe de la montagne, à Highest-Point, à la Tour O’Hara, à Signal-Station, où des routes nouvelles grimpent en lacets le long du rocher, que les canons les plus puissans ont été placés, et c’est de là qu’ils dominent au loin la mer. Près de deux cents pièces de gros calibre, dit-on, garniraient formidablement tout le pourtour de la presqu’île.

Une garnison de plus de 10 000 hommes, souvent renforcée, est répartie dans les belles et spacieuses casernes de la ville et de « Buena-Vista. » L’Angleterre a toujours, à Gibraltar, plus de troupes qu’il n’en faudrait pour défendre l’étroit rocher ; on y a entassé, dans ces dernières années, de l’artillerie de campagne et tout le matériel nécessaire à une expédition. Gibraltar n’est donc pas seulement un point d’appui et une forteresse ; c’est aussi une « base d’opérations, » d’où un corps expéditionnaire peut toujours être prêt, dans un délai très bref, à s’élancer. En prévision d’un siège ou d’une campagne, d’énormes approvisionnemens de vivres et de munitions sont accumulés dans d’immenses caves creusées dans le rocher ; un tunnel traverse la montagne, d’est en ouest, en son milieu. De gigantesques citernes, taillées dans le calcaire, recueillent toute l’eau qui ruisselle le long des pentes ; les roches, sur toute la partie nord-ouest, ont été dénudées, nettoyées, pour faciliter la collection des eaux de pluie. Ainsi, le rocher de Gibraltar est, si l’on ose dire, un rocher d’opéra ; de tous côtés il est « truqué. »

Pour la flotte, l’Amirauté a établi à Gibraltar les ateliers et les magasins nécessaires aux plus urgentes réparations et au ravitaillement en vivres, en munitions, en charbon pour les bâtimens de guerre : un stock énorme de houille, que l’on n’évalue pas à moins de 100 000 tonnes, est à la disposition des escadres