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l’attrait enfin des souvenirs historiques de Rome, de la Grèce et de l’Orient, faisaient, malgré tout, de la domination de la mer intérieure la condition et le signe de l’hégémonie maritime. L’ouverture du canal de Suez, de nos jours, a profondément modifié la direction des grandes voies commerciales ; de cul-de-sac qu’elle était, la Méditerranée devint le couloir le plus fréquenté du globe ; son importance militaire et économique s’en trouva, du coup, prodigieusement augmentée.

Maîtriser les routes maritimes, c’est, pour l’Angleterre moderne, une nécessité absolue, la première des maximes de sa politique. Le maintien de sa prospérité est étroitement lié à la durée de sa prééminence sur les eaux ; elle ne saurait se passer, même temporairement, de vendre au loin les produits de son industrie et de recevoir les denrées qu’elle consomme et les matières premières dont s’alimentent ses usines. A mesure que la concurrence grandit et que les débouchés anciens se ferment, elle a un besoin plus impérieux de disposer librement de la route de la Méditerranée, qui conduit à ces Indes, le plus riche joyau de son domaine colonial, et à cette Chine, qui s’ouvre de plus en plus au commerce étranger. La nécessité d’être fort dans la Méditerranée s’est encore accrue, pour le Royaume-Uni, du jour où l’habileté de ses hommes d’Etat et la faiblesse de notre gouvernement lui ont donné, en Égypte, des Indes nouvelles ; désormais, sur la Méditerranée, il posséda non plus seulement quelques points stratégiques, mais un grand et riche pays qui doit devenir le débouché de toute l’Afrique anglaise, l’aboutissement de la grande ligne du Cap au Caire. Ainsi l’occupation de l’Égypte, décidée surtout pour mettre la main sur le canal de Suez, est devenue elle-même, pour l’Angleterre, un motif nouveau de surveiller, plus étroitement que jamais, la Méditerranée, et de fortifier le rocher de Gibraltar et l’île de Malte, qui en gardent, l’un l’issue, l’autre le milieu.

« La guerre est une affaire de positions, » disait Napoléon Ier. Sur le théâtre étroit où se succèdent les épisodes d’une bataille ou d’une campagne, les accidens du relief, la nature du sol, la direction des cours d’eau et des chemins, déterminent quelques points stratégiques essentiels : le succès est à celui qui sait les reconnaître et les occuper à temps avec des forces supérieures. Il en est de même sur le vaste champ de bataille du monde, où les nations se disputent sans merci la prépondérance