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Tout y concourut. En même temps qu’une ère de paix s’ouvrait qui permettait les voyages, elle fermait à une notable partie de la population suisse masculine le débouché qu’elle trouvait dans la location de ses services militaires à l’étranger. Ne pouvant devenir laboureurs, les soldats mercenaires se firent hôteliers.

Cette pensée devait leur venir tout d’abord. De tout temps, en effet, la rigueur du climat, les difficultés d’accès, avaient obligé les habitans de la Suisse à organiser des abris pour les voyageurs sur les points les plus fréquentés. Nous avons vu qu’au moyen âge, où tout était religieux, ces préoccupations s’étaient traduites sous la forme religieuse par la fondation d’hospices. A côté d’eux, s’établit plus tard l’industrie privée. Elle se perfectionna bien lentement. En 1314, une ordonnance du gouvernement de Zurich recommande aux hôteliers de se faire remettre par leurs hôtes les couteaux qu’ils peuvent avoir, « avant que la chaleur du vin ne les incite à mal faire. » Un règlement bernois de 1521 oblige les hôteliers à donner un repas avec poisson et viande pour deux groschen et un souper pour un groschen. Erasme nous a laissé un tableau pittoresque de ce qu’étaient les hôtelleries suisses à cette époque. « Personne ne vous recevait à votre arrivée. Après avoir appelé pendant quelques instans, une tête apparaissait à une lucarne et, sur la demande d’entrer, il vous était répondu par un simple signe de main. Quand on avait pénétré dans la cour de l’auberge, il fallait soigner soi-même sa monture… On entrait dans la salle commune, tout botté, couvert de son manteau de voyage, le plus souvent crotté, poussiéreux ou ruisselant de pluie. On se déchaussait et dévêtissait à loisir, en présence de toutes les personnes présentes ; l’un faisait sécher ses bottes ; l’autre changeait de linge ; un troisième se peignait. On ne mange pas avant neuf heures du soir, quelquefois dix heures, car on attend tout le monde avant de se mettre à table. Quand on est assis, l’aubergiste réclame le prix de votre gîte et de votre repas, et personne ne conteste l’écot demandé. On ne peut guère se coucher avant les autres. Quand tous les voyageurs sont décidés à se reposer, on montre à chacun son nid, qui n’est rien moins qu’un lit et dont les draps n’ont souvent pas été lavés depuis six mois. »

Les progrès furent longtemps peu rapides. Cependant, en 1779, Bourrit signale avec éloges l’auberge de Kandersteg, que chaque famille du village tient à tour de rôle pendant deux ans.