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au siècle suivant, sans omettre le poème de Haller sur les Alpes (1732) et les idylles de Gessner. Si ces ouvrages deviennent plus nombreux encore à la veille de la Révolution, c’est surtout grâce à trois hommes, auxquels la Société suisse des Hôtels devrait élever des statues, car elle leur doit plus qu’à personne, J. -J. Rousseau, Gibbon et de Saussure.

Déjà, dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles, le premier avait opposé à la peinture des salons de Paris une description, d’ailleurs flattée, de la vie des montagnards suisses. La Nouvelle Héloïse (1760) fit connaître les charmes des rives du Léman, comme les Confessions, ceux du lac de Neuchâtel. Tous ceux qui avaient pleuré aux lettres des deux amans voulurent voir les lieux où était née, où s’était développée leur liaison : Meillerie, où Saint-Preux connaît Julie, Clarens, où il la retrouve mariée. En cette fin d’un siècle où l’amour tint tant de place, bien des couples passionnés et tendres voulurent mirer leurs lèvres unies aux ondes pures du lac, et y retrouver, par une nuit d’été, « un ciel serein, la fraîcheur de l’air, les doux rayons de la lune, le frémissement argenté dont l’eau brillait. »

Les souvenirs laissés par Gibbon sont moins poétiques. Envoyé par son père à Lausanne, en 1754, il y séjourna cinq ans chez le pasteur Pavilliard, qui sut le ramener au protestantisme. Mais c’est surtout à partir de 1782 que sa présence fit connaître le pays et y conduisit des visiteurs. Tandis qu’il y écrivait les derniers volumes de son Histoire, la meilleure société locale se groupait autour de lui, amenant des hôtes de marque, le prince Henri de Prusse, les Necker, Sébastien Mercier, l’abbé Raynal. Gibbon contribua à la réputation du célèbre médecin Tissot, qui, à son tour, attira une clientèle lointaine. Lausanne, petit centre protestant, devint ainsi à la mode ; on allait y étudier la théologie, y consulter, y apprendre le français. Aussi le souvenir de l’historien anglais s’y conserva-t-il, et, en 1816 encore, Byron allait visiter la demeure de son compatriote, et envoyait en souvenir à son libraire Murray une branche de l’acacia de Gibbon.

Mais Jean-Jacques et Gibbon, Sainte-Beuve[1] l’a très finement remarqué en ce qui concerne le premier, n’avaient guère connu que la région la plus basse de la Suisse, celle qui « finit où finissent les noyers » et que l’on retrouve dans beaucoup de

  1. Causeries du Lundi, t. VIII, pp. 336-337.