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II

Le devoir le plus impérieux du gouvernement, celui qui engagera le plus directement, envers le Parlement et le pays, la responsabilité du cabinet qui sera au pouvoir au moment de la guerre, est la désignation définitive des chefs des armées. C’est vis-à-vis de ce cabinet que les chefs militaires vont, à leur tour, être responsables de la conduite de leurs opérations. C’est à lui qu’il doit appartenir d’arrêter leur nomination en dernier ressort. Le choix des cabinets précédens peut et doit lui servir d’indication ; mais il ne peut ni le lier, ni le couvrir[1].

Pendant les guerres de notre première République, rien n’avait limité le choix du gouvernement ; rien ne l’avait empêché de désigner, pour commander les armées, les généraux de division les plus capables, les plus énergiques, quelle que fût leur ancienneté. Le gouvernement avait conservé dans la main ce puissant stimulant de la liberté entière de son choix, bien fait pour exciter les généraux à se maintenir bien entraînés physiquement et intellectuellement pendant la paix, et à se distinguer, à se surpasser pendant la guerre. La lettre de service avait suffi largement pour donner de l’autorité à des chefs improvisés, comme Jourdan, Hoche, Masséna, Bonaparte, qui avaient su se faire obéir par des généraux plus âgés, plus anciens qu’eux, et les mener à la victoire.

Mais, à cette époque, — il importe de ne pas l’oublier, — la guerre se faisait lentement ; les troupes avaient le temps de se discipliner, de s’aguerrir pendant les campagnes mêmes ; les chefs improvisés avaient le temps de réfléchir, de s’asseoir dans leur commandement ; le Comité de salut public avait pu tâtonner et même faire des fautes au début de sa mission. Aujourd’hui, il n’en sera plus ainsi ; les événemens se précipiteront aussitôt après la déclaration de la guerre. C’est une question de vie ou de mort que de tenir entièrement prêts à agir, dès la première heure des hostilités, non seulement les troupes, mais les états-majors et les chefs des armées.

  1. L’opinion publique peut être prise en considération par le gouvernement ; mais elle ne doit pas non plus, le couvrir. La désignation de Bazaine, en 1870, est due à une manifestation de l’opinion publique. La responsabilité du gouvernement doit rester entière.