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Les caractères de l’ivresse absinthique avaient, dès le début, frappé l’attention des médecins aliénistes. Habitués à l’observation des crises d’hystérie et d’épilepsie, MM. Motet, Marcé, Challand et Magnan en retrouvaient les traits dans les scènes de l’intoxication par abus d’absinthe. En fait, quelques minutes ou quelques heures, après une absorption excessive d’absinthe, le buveur tombe en proie à l’agitation : puis il pousse des cris et perd à moitié connaissance. Il est pris alors d’une véritable attaque de convulsions : les muscles du cou se raidissent, puis ceux du dos, les mâchoires se serrent : enfin des secousses éclatent, se succédant comme des décharges. C’est le tableau d’une crise de grande hystérie plutôt que d’épilepsie, car il ne manque aux traits de l’attaque du haut mal que le cri du début, la perte absolue et complète de connaissance et la phase asphyxique de la fin. — Rien de pareil ne se montre dans l’ivresse alcoolique.

On a reproduit expérimentalement ces intoxications. L’ivresse de l’alcool et celle de l’absinthe ont les mêmes traits chez le chien et chez l’homme. Le chien alcoolisé montre de l’excitation, de la gaieté ; il jappe, il saule, il aboie ; puis sa marche devient incertaine, il titube, il fléchit son train de derrière, perd l’expression du regard, tombe et s’endort lourdement. A côté et simultanément, on peut avoir le spectacle d’un chien qui a reçu de l’absinthe. Les muscles du dos se contractent énergiquement comme chez le tétanique et courbent le corps en arc : les mâchoires se serrent, les pattes s’étendent. Puis survient la période des secousses convulsives. — En somme l’absinthe jette le chien dans l’épilepsie : l’alcool le fait tomber dans la torpeur.

L’intoxication chronique de l’absinthe se caractérise par la précocité plus grande de son apparition et par les troubles nerveux qui ont un caractère plus marqué et plus exclusif que dans le cas de l’abus de l’alcool. Il y a une exaltation vive de la sensibilité. En somme l’absinthe est un poison convulsivant qui concentre son action sur le système nerveux, tandis que l’alcool est en définitive stupéfiant, et porte aussi bien son action sur les viscères, l’oie, estomac, intestin, que sur le cerveau.

Les effets de la liqueur d’absinthe ne sont donc pas dus seulement à l’alcool, mais véritablement et pour une part appréciable aux essences qui entrent dans sa composition. Il restait à savoir, — et c’est précisément la question que le ministre posait à l’Académie, — quelles sont parmi ces essences celles qui