Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les corps parfumés qui s’ajoutent à l’alcool, lorsqu’on le distille sur des plantes aromatiques, ne sont pas d’une autre espèce que les bouquets que le marc de raisin jeté dans l’alambic ajoute à l’eau-de-vie. Il n’a pas été fait, à la vérité, de détermination des équivalens toxiques pour les différentes liqueurs du commerce. Il est impossible d’en faire pour les différentes essences elles-mêmes, puisque, étant insolubles dans le sang, elles ne peuvent y être introduites directement sans créer un danger mécanique. — La méthode ne s’applique plus. Il faut alors, en revenir, comme l’a fait M. Lalou, au procédé naturel d’introduction dans l’estomac. On sait pourtant, d’après les essais de MM. Joffroy et Serveaux, que l’équivalent toxique de l’essence d’absinthe correspond à une nocivité assez élevée ; mais on sait aussi que l’essence n’intervient que pour une faible proportion dans la composition de la liqueur.

Tous ces renseignemens ont été fournis par des expériences de laboratoire exécutées sur les animaux. Quelle application en peut-on faire à l’homme ?

Les personnes qui sont étrangères aux procédés de raisonnement et aux méthodes des sciences biologiques considèrent avec une sorte d’ahurissement la prétention émise par les expérimentateurs d’expliquer par des injections de doses massives de liquide dans les veines d’un lapin ou d’un cobaye l’effet produit sur l’homme par des doses modérées de la même liqueur, introduite dans l’estomac. — Il semble, en vérité, comme l’a dit M. Combes devant le Sénat, que ce soit « raisonner contre les règles de la logique. » Mais ce n’est qu’une apparence. La différence des doses, du mode d’introduction de la substance, de la nature de l’animal, interdisent évidemment de conclure que l’un des tableaux symptomatiques soit le calque fidèle de l’autre.

Aussi n’est-ce point ce que l’on fait. Les physiologistes sont spécialement attentifs à observer les conditions sous lesquelles ils sont autorisés à étendre les conclusions de leurs expériences, d’une espèce animale à une espèce différente et d’une manière de procéder à une autre.

On peut croire qu’il ne leur viendrait pas à l’esprit d’étudier, par exemple, sur le cobaye ou sur le lapin les troubles de l’idéation ou de la conscience produits par l’alcool ou l’absinthe. Mais ils se croiront parfaitement en droit d’étudier au moyen d’un mammifère ou d’un autre indifféremment l’action exercée par les