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à la rendre presque insupportable au goût, reste inappréciable à tous autres égards.

Ces faits ne valent évidemment que pour les conditions dans lesquelles ils ont été obtenus. Il est permis de dire que, dans ces limites d’interprétation, ils détruisent la légende de l’innocuité des eaux-de-vie naturelles, de la supériorité des eaux-de-vie fines, et aussi de la bénignité de l’alcool éthylique pur. Il n’est pas douteux, à la vérité, que le furfurol, les aldéhydes, l’éther, les alcools supérieurs, c’est-à-dire tous les produits qu’une rectification incomplète laisse subsister dans les alcools d’industrie, possèdent une toxicité propre assez considérable. Des expériences de la même nature que les précédentes l’établissent, d’ailleurs, nettement : les équivalens toxiques du furfurol, de l’aldéhyde, de l’acétone, sont respectivement 0,24 ; 1,14 ; et 5,27, tandis que celui de l’alcool éthylique serait de 10.

D’après cela, l’alcool chargé d’impuretés, d’éthers plus ou moins aromatiques, d’alcools supérieurs, doit être plus nocif que l’alcool plat. Il en est ainsi, en effet ; mais les quantités de ces impuretés aromatiques qui entrent dans la composition des boissons en usage sont si minimes que leur influence est insignifiante et disparaît devant celle de l’alcool lui-même. En toute rigueur, si l’on veut tenir compte de ces différences, il faudra dire que les meilleures eaux-de-vie, les plus fins cognacs, lesquels contiennent plus de produits parfumés que les alcools plus ou moins insipides livrés par l’industrie, sont aussi plus nocifs. Pour agréables au goût que soient ces bouquets, ils n’en contribuent pas moins à accroître légèrement la toxicité de ces produits de choix. M. Daremberg a pu soutenir sans paradoxe que la fine Champagne qui paraît sur les meilleures tables, est plus dangereuse que celle qui se débite sur le zinc des assommoirs.

En résumé, la toxicité d’une liqueur spiritueuse dépend bien plus de la quantité d’alcool que des matières étrangères qu’elle contient. Ce qui crée le péril des breuvages alcooliques, c’est l’alcool lui-même.

Beaucoup de médecins admettent que ce qui est vrai des eaux-de-vie, l’est aussi des liqueurs à essences, des apéritifs, des amers et des absinthes. Leur danger viendrait surtout de l’alcool. L’intoxication par l’essence ne serait qu’un épiphénomène de celle par l’alcool. L’analogie des liqueurs à essences avec les eaux-de-vie a bouquets plaida un faveur de cette assimilation.