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l’oïdium réduisent de 800 000 hectolitres à 165 000 la production des eaux-de-vie de vin : ils l’envahissent et l’inondent après 1876, lorsque le phylloxéra fait tomber à rien (27 000 hectolitres, en 1879) la production des eaux-de-vie naturelles. Le bon marché de ces alcools d’industrie en facilite la diffusion universelle ; les impuretés qui les souillent obligent les distillateurs à en masquer le mauvais goût par l’adjonction de substances aromatiques ou amères, tirées de plantes diverses, aloès, rhubarbe, gentiane. Et c’est ainsi que prit naissance l’industrie des boissons à essences. La consommation s’en propagea avec une rapidité extrême.

A Paris et dans les grandes villes, la faveur alla d’abord aux mêlés, formés par l’addition à l’alcool de cassis, d’anisette ou de liqueur de menthe. Dans l’Est et dans le Lyonnais, c’est le vulnéraire ou l’eau d’Arquebuse qui est le cordial universel, la panacée de tous les maux, contusions, coups, émotions, faiblesse ; on l’absorbe à tout propos, tantôt pure, tantôt étendue dans une infusion de café, ou mélangée à l’eau de noix sous le nom populaire de « ganache. » Cette eau d’arquebuse ne contient pas moins de dix-huit essences mélangées à l’alcool. C’est une absinthe plus redoutable encore que l’absinthe ordinaire. Et comment s’en défierait-on ? N’est-elle pas fabriquée avec les plantes aromatiques, les simples, qui croissent dans les champs et dans les bois de nos pays ?

Mais la plus répandue, et de beaucoup, parmi toutes ces liqueurs à essence c’est l’absinthe. On devrait dire « les absinthes, » car il en existe autant de variétés, qu’il y a de marques commerciales. Il n’y a pas moins de recettes diverses de préparation que de fabricans. Chacun a sa formule. La liqueur d’absinthe n’est pas formée avec l’unique essence qui porte ce nom : elle est un mélange d’essences diverses au nombre de neuf ou dix. La plus caractéristique est extraite des feuilles ou des sommités fleuries d’une plante herbacée de la famille des composées, l’armoise, Artemisia absinthium, dont toutes les parties répandent une odeur balsamique et ont un goût aromatique très amer. Cette amertume semblait devoir l’exclure de la préparation des boissons, et le mot même d’absinthe veut dire « qui ne saurait être bu. » Mais il intervient, dans la préparation de l’apéritif absinthe, beaucoup d’autres plantes, et par conséquent d’autres essences : la petite absinthe, l’absinthe maritime, la badiane, l’hysope, la mélisse, les racines d’angélique, le fenouil et surtout les