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et leur toxicité plus active. Enfin l’Académie émet le vœu qu’il soit pris des mesures efficaces pour diminuer le nombre des débits de boissons. » — C’était une manière de se dérober.

La déception fut vive dans le camp des anti-alcoolistes. Ils auraient voulu que l’Académie désignât nominativement à la vindicte publique, et livrât au bras séculier quelques-uns de ces breuvages dits apéritifs, vermouths, et surtout absinthes, dont la consommation a pris dans notre pays un développement inquiétant. Au lieu de cela, la savante compagnie lie la question de l’alcool à la question de l’absinthe ; elle prononce une excommunication générale, qui englobe, avec les liqueurs dont le rôle est d’inaugurer le repas, vermouths, amers, bitters, byrrhs, quinquinas, absinthes, celles qui en clôturent l’ordonnance, anisette, curaçao, chartreuse, bénédictine, kumniel, noyau. La plupart des vins liquoreux, et des eaux-de-vie naturelles elles-mêmes, cognac, fine Champagne, armagnac, calvados, kirsch, prunelle, rhum, tafia, whisky, gin, se trouvent également compris dans cette condamnation d’un caractère universel et platonique. Quant au conseil d’établir des droits énormes sur ces boissons, sur ces vins et ces alcools aromatisés, il est, à la vérité, de ceux que les gouvernemens, avides de ressources nouvelles, sont toujours disposés à accueillir, mais à la condition, précisément, de ne point donner à ces surtaxes le caractère prohibitif souhaité par les médecins et qui risquerait d’en tarir la source. Enfin, le souhait de voir limiter le nombre des débits de boissons, qui mérite d’ailleurs toute approbation, est absolument vain et irréalisable dans l’état présent.

C’est donc un avortement complet. Il était inévitable. Pour en comprendre les raisons, il suffit de rapprocher des débats académiques sur les dangers de l’alcool, ceux qui, au même moment, se déroulaient à la Chambre, sur la réglementation des bouilleurs de cru. Le sens en était clair ; c’est que l’alcool est intangible. C’est la liqueur sacrée. Le pays, la masse de la nation, les députés, le gouvernement lui forment une garde du corps. Ni les uns, ni les autres n’ont l’exact sentiment de l’existence et du caractère pressant du péril alcoolique. Ils n’ont aucune intention de sacrifier le plus petit profit commercial, fiscal, ou électoral pour en diminuer les ravages. La méconnaissance des intérêts supérieurs de la race et de l’humanité n’a jamais été poussée plus loin.

Les médecins académiciens se sont rendu compte de cette