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moins importantes. D’ordinaire, la Nature dissimule son harmonie sous d’apparentes confusions et ses lois sous d’apparentes libertés. Un torrent n’obéit pas à des lois moins rigoureuses qu’un arc-en-ciel, mais il ne les révèle qu’après une longue observation. Ici, la Nature semble nous faire, tant sur les couleurs que sur la forme déterminée par l’intersection du cône lumineux avec le plan du nuage d’ombre, une leçon de physique et de géométrie, crûment, avec pédanterie : une figure « au tableau. »

Aussi, est-ce une vision brutale et sans grand agrément, sauf si elle signifie pour nous, comme pour le patriarche, la fin d’un orage et le renouvellement d’un pacte divin. Heureusement, ce qui est si défini dans le ciel, devient, dans la mer, un feu-fantôme. Les lois qui régissent les reflets de chacune des couleurs de « l’écharpe d’Iris » en font une riche parure pour les eaux qui les reçoivent, et il n’est pas de palais merveilleux qui donne à la surface d’un canal ce qu’apporte d’irisations douces et de fleurs éparses, l’arc-en-ciel à la surface calmée des mers. Maintes et maintes fois les passagers des mers du Nord ont vu ce que M. Harrison, avec un prestigieux bonheur, leur met aujourd’hui sous les yeux.

Et chaque jour, les habitans de la Riviera voient l’effet que M. Paulin Bertrand, dans sa Baie de Carqueiranne, au Salon de l’avenue Nicolas II, a su nous restituer. Ce ne sont plus les grands spectacles de la haute mer, l’étendue déserte où flottent les écharpes des fantômes du ciel : c’est le rocher où vient se briser la dernière l’âme et les recoins et les creux où l’eau qui a dépassé la limite, un jour de tempête, est retenue prisonnière et sous le soleil, s’assoupit, s’endort et meurt. Mille petites vies animales naissent et se nourrissent de ces délaissés. Au-dessus du rocher, les plus s’abaissent. Et, à quelques pas, se déroule, blanchissante d’écume, la vague qui ira baigner des presqu’îles et des îles chantées par les poètes. Ce n’est pas un effet de plein soleil, mais de lumière voilée comme il en est si souvent sur ce coin du Midi. Sur les arbres, sur les roseaux et la mer, brille une fine poussière d’argent, et le scintillement propre aux eaux méditerranéennes a été justement rendu.

Ces eaux sont si changeantes ! Il ne semblerait pas, après avoir vu la Baie de Carqueiranne de M. Paulin Bertrand, qu’en observant la Marine (n° 53) de M. Auburtin, avenue d’Antin, on se trouvât devant la même mer. C’est la même cependant et