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colore, se plissant au moindre souffle d’air, dépliant et repliant les paysages reflétés à sa surface comme la main d’une élégante plie et déplie le paysage peint sur les feuilles de son éventail. Elle a sa nature propre, sa couleur à elle, qu’il faut faire voir, son fond qu’elle laisse parfois transparaître au-dessous de ses stries superficielles et à travers même ses reflets verticaux. Il faut donc montrer d’abord ce qui se peint en elle verticalement. Ensuite, ce qui se passe à sa surface, horizontalement, et enfin, elle-même, c’est-à-dire sa substance et quelquefois son fond, ce qu’elle a en elle, en sa profondeur et selon les couches d’ondes sous l’onde accumulées. Ce dernier aspect n’est pas toujours visible. Si un étang reflète un paysage et des objets très lumineux et colorés, par exemple un ciel bleu et des nuages clairs, le fond de l’eau sera tout à fait invisible et la couleur spécifique de l’eau éteinte. Mais il suffit que l’objet reflété soit obscur comme un massif d’arbres noirs, pour qu’aussitôt le fond de la rivière apparaisse dans le reflet lui-même et pour que la couleur de l’eau vienne s’y mêler.

Il faut donc d’abord représenter la matière de l’eau et pour cela lui trouver une matière. C’était un axiome autrefois chez les artistes que chaque objet différent devait être peint d’une façon différente, qu’une maison, par exemple, devait se distinguer par sa facture d’un arbre et un mouton d’une pièce d’eau ou d’une locomotive ; qu’il n’y avait pas seulement un ton « local, » mais que la facture même devait varier selon l’objet qu’elle était censée réaliser. On n’appliquait pas la couleur pour figurer un mur comme pour figurer des feuilles d’arbre ni pour un visage comme pour un parquet de bois. La matière représentante devait varier comme la matière représentée. La touche était posée à plat ou en virgule, ou plus sèche ou plus humide, par longues traînées ou par points, par raies verticales ou par traits horizontaux ou en coups de sabre, en « banderoles, » ou bien blaireautée en fourchette, ou encore appuyée comme une pression sur un bouton électrique, ou légère comme des passes magnétiques, selon qu’il s’agissait de signifier la ronde bosse d’un rocher ou la plate épaisseur d’une muraille, ou l’échevèlement d’un arbre dans le vent. L’Impressionnisme a changé tout cela. Son principe étant de peindre l’enveloppe lumineuse des objets plutôt que les objets mêmes, il a tout fait vibrer dans un égal scintillement. Dans ses œuvres les plus fameuses, tout est peint de la même manière.