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Tout aussi générale est celle qui substitue peu à peu au portrait individuel le portrait de la Famille. Et elle s’accorde bien avec certains sentimens modernes. Faire le portrait de l’enfant est une idée d’époque pessimiste. Aux époques pessimistes, inquiètes, où l’on doute de son œuvre, et c’est le cas sans doute de notre société contemporaine, l’enfant est appelé dans le portrait de la famille. Il l’envahit et en semble le véritable héros. Les parens n’apparaissent plus qu’accompagnés, protégés en quelque sorte par les enfans pressés autour d’eux, et, comme une revanche sur le mal qu’ils pensent du présent ou une excuse, ils semblent dire : « Oui, mais voici l’avenir ! » Jamais cette tendance n’avait été si générale, ni si frappante, que sur les mura des deux Salons de 1903.

Chacune de ces tendances est, d’ailleurs, commune à la peinture française et à la peinture étrangère. Ou plutôt il n’y a pas de « peinture étrangère, » mais il y a tant de peintres étrangers et qui ont si bien surpris les secrets ou prolongé l’effort de nos maîtres, qu’ils apparaissent parfois comme les triomphateurs de nos expositions nationales. Et c’est la dernière caractéristique des Salons de 1903. Si l’on retirait de l’avenue d’Antin les Préparatifs pour la course de taureaux de M. Zuloaga, qui est Espagnol, et les Trois demoiselles Hunters de M. Sargent, qui est Américain ; si l’on décrochait les paysages de M. Thaulow, qui est Norvégien, et les marines de M. Harrison, qui est Anglais ; si l’on oubliait le Portrait de Sem de M. Boldini, qui est Italien, et le Christ à Béthanie de M. Burnand, qui est Suisse, et les intimités de M. Walter Gay et les scènes familiales de Mlle Roederstein et le portrait de femme de M. John Lavery, et cet admirable bonhomme, le Vieux Radar de M. Wageman, — un des plus beaux morceaux de peinture qu’on ait vus depuis longtemps, et la manifestation à Barcelone, de M. Casas, et les toiles de MM. Frieseke, Morrice, Maurer, Gilsoul, — il resterait sans doute quelques œuvres fort honorables, mais ce qui fait cette année l’intérêt, l’éclat, la nouveauté du Salon de l’avenue d’Antin aurait disparu.

Au Salon de l’avenue Nicolas II, il n’en est pas de même. Et M. Henner, M. Bonnat, M. Roybet, M. Hébert, M. Harpignies demeurent, en dépit de toutes les fluctuations de la mode et de tous les engouemens des blasés, des maîtres auxquels personne en Europe ne peut être préféré. Cependant, il est étrange combien